The innocents : un conte fantastique et horrifique captivant

Date de publication : 04.03.22

Il y a de ces films qui font monter le bouche-à-oreille bien avant leur sortie en salle. Il s’agit bien souvent de ceux qui ont connu un succès d’estime conséquent en festival pendant plusieurs mois, suscitant une certaine attente auprès d’un public d’initiés. C’est le cas pour The Innocents, qui a commencé son parcours au Festival de Cannes 2021 en juillet 2021, nommé dans la section « Un certain regard ». Après un passage remarqué à L’étrange festival en septembre dernier à Paris (grand prix Nouveau Genre), The Innocents conclut son chemin en apothéose au fameux Festival international du film fantastique de Gérardmer, dans lequel il remporte le prix de la critique ainsi que le prix du public. Les promesses d’un tel plébiscite sont-elles à la hauteur des attentes ?

 

Jeux d’enfants, jeux dangereux

The Innocents est le second film réalisé par le norvégien Eskil Vogt, compère scénariste de Joachim Trier (« Thelma », « Julie, en 12 chapitres »). Après un premier long métrage intéressant, mais imparfait (« Blind »), le réalisateur livre ici un projet de longue date qu’il décide de mettre lui-même en scène alors que son camarade de toujours vogue vers d’autres horizons. Le résultat : un conte social teinté d’horreur et de fantastique qui détourne habilement la figure de l’enfant dans le cinéma de genre. 

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On y suit une famille qui emménage dans une résidence calme composée de deux tours d’immeubles. Le film adopte le point de vue des deux petites filles et notamment de Ida, la plus jeune. Sa grande sœur, Anna, est atteinte d’un autisme régressif, une situation qui donne du fil à retordre à ses deux parents. Les deux sœurs vont cependant se lier d’amitié avec deux autres enfants avant de se découvrir des aptitudes hors du commun. Mais très vite, les rires et l’espièglerie enfantine laissent place à une confrontation inattendue.

Une mise en scène glaçante

L’enfance est une période où le jeu et l’expérimentation sont les deux faces d’une même pièce. Avec leur imagination débordante, les enfants traversent quotidiennement un tourbillon d’émotions, entre peur et émerveillement. Dans The innocents, ils font ainsi l’équilibre sur le fil d’une moralité en pleine construction. Ce sont bien à travers les yeux que le récit se déroule et leurs actions, si elles ne sont pas pour autant pardonnées, prennent une tout autre dimension venant d’eux.

Dans le cinéma d’horreur, la figure de l’enfant a essuyé bien des clichés, entre victime possédée, monstre insidieux ou omniscient. Ici, le réalisme et le caractère antispectaculaire du film permettent au fantastique de fonctionner. C’est évidemment toute une question de curseur pour Eskil Vogt, qui avec The Innocents propose l’inverse d’un « Chronicle », qui plaçait des adolescents dans la même situation avant d’être sous le feu des projecteurs. 

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Ici, l’horreur surgit du quotidien, de l’intime, servie par une mise en scène glaçante. Le tour de force du réalisateur et de son directeur de la photographie Sturla Brandth Grøvlen (« Drunk ») est de s’être approprié un territoire en apparence banal pour le rendre inquiétant, au détour de certaines séquences oniriques illustrant les pouvoirs grandissants de nos quatre enfants. On ne peut s’empêcher de penser à un film comme « It Follows » de David Robert Mitchell, qui ménageait ainsi ses effets au profit de son concept. On parle même de « high concept », qui se cristallise ici par un final somme à l’approche minimaliste. The Innocents est donc un film de genre unique qui promet une belle carrière de cinéaste à Eskil Vogt.

 

Hugo Cléry | @HugoClery