Interview de Delphine Malausséna - Compositrice de films
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Forte d’un impressionnant parcours combinant physique quantique, musique et son, Delphine Malausséna se consacre aujourd’hui pleinement à la musique à l’image. Elle signe la partition intense et élégante de 5ème set de Quentin Reynaud, en salles le 16 juin, son premier projet d’envergure en tant que compositrice. Rencontre.
5ème set est votre premier long métrage en tant que compositrice, quels étaient les enjeux d’un tel projet ?
Déjà, c’était un sacré challenge personnel ! En même temps, je me sentais à ma place, je m’en sentais capable. J’ai connu Quentin Reynaud par le premier court métrage que j’ai fait en tant que chef opératrice son, Course en sac, en 2010, qu’il a coréalisé avec Arthur Delaire. J’ai fait leur deuxième court puis leur premier long, Paris-Willouby, en 2015. Pour 5ème set, Quentin m’a à nouveau demandé de faire le son. Comme je venais de décider de me consacrer à la musique de film, je lui ai proposé des idées de compositions, et il m’a fait confiance. Le scénario dépeignait un héros écorché, très solitaire, qui essaye une dernière fois de se qualifier à Roland Garros, dans un climat familial assez tendu. C’est un univers qu’on voit peu au cinéma. Quand il est sur le court, il fait face à un adversaire mais surtout à lui-même. Pour la musique, Quentin voulait quelque chose d’assez radical. J’ai tout de suite pensé à un instrument seul, en particulier au violoncelle parce que c’est un instrument très proche de la voix humaine et qui peut exprimer pas mal de choses : une forme de tragédie, de la douceur, de la profondeur, de la mélancolie… J’ai proposé de partir sur cette base pour symboliser le héros, puis de poursuivre sur des notes plus electro pour moderniser et ramener de la tension, des sensations, du rythme.
Comment devient-on compositrice, qu’est-ce qui vous a motivée à choisir ce métier ?
Je suis arrivée à ce métier assez tard. J’ai d’abord fait du violon au Conservatoire, puis une prépa maths-physique et un master 2 de mécanique quantique, avant d’entrer à l’ENS Louis-Lumière en section son. Je suis devenue l’assistante d’un ingénieur du son de cinéma, Pierre Gamet, qui était un grand nom dans le métier [il a reçu quatre César, notamment pour Cyrano de Bergerac et Tous les matins du monde, ndlr.]. Deux ans après l’école, je suis moi-même devenue cheffe opératrice son. J’ai fait beaucoup de tournages pendant dix ans, des petits, des gros, des séries américaines comme Dynastie et Riviera. En assistant aux mixages, j’entendais les musiques composées et j’ai senti que j’avais envie d’aller vers ça. Un jour, une amie cherchait un compositeur, je lui ai proposé d’essayer. Ça m’a plu, même si je voyais le chemin que j’avais à parcourir : c’était un autre état d’esprit, je ne connaissais pas les logiciels… Je me suis entrainée à composer seule entre deux tournages – ce qui n’était pas évident parce que j’avais un sacré rythme de travail -, par exemple sur la première séquence de Tomboy de Céline Sciamma, car c’est un film sans musique. J’ai aussi participé à des résidences comme « Le 3e personnage » à Aubagne et « Next Step » à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, c’était un bon tremplin pour débuter et rencontrer des réalisateurs.
Comment percevez-vous la place des femmes dans ce milieu ?
Personnellement, je n’ai pas le sentiment d’avoir eu un frein par rapport à ça, que ça soit en son ou en musique. J’ai toujours suivi des cursus où les femmes étaient minoritaires : j’étais une des seules femmes en mécanique quantique, on était deux en direction d’orchestre, trois en prépa maths-physique, quatre à Louis-Lumière. En fait, je ne me suis jamais dit que j’étais moins compétente que les hommes. Quand j’étais petite, mes parents avaient un regard très neutre là-dessus, ce n‘était même pas une question. Mais j’ai plein de copines qui ressentent un réel plafond de verre, ça leur provoque de gros blocages.
Comment travaillez-vous, quelle est votre méthode pour composer ?
C’est très solitaire au début. Je me base d’abord sur les textures et les sons, et quand j’ai trouvé quelque chose qui me convient, je cherche des mélodies, des rythmes, des thèmes à développer. Pour 5ème set, j’ai trouvé le thème assez tôt, et je l’ai sculpté ensuite en fonction des retours du réalisateur. J’ai une manière de travailler très artisanale, directement dans la matière sonore et pas forcément à la partition malgré mes années d’étude dans ce domaine. Je fais d’abord une maquette sur ordinateur de mon côté à partir du scénario, d’ailleurs souvent très proche du produit final. Pour 5ème set, j’ai collaboré avec une violoncelliste de génie, Juliana Laska. Elle est venue chez moi pour tester les morceaux que j’avais en tête. C’était hyper important, on ne peut vraiment pas tout faire par ordinateur. Je l’ai enregistrée moi-même, parce que je trouve que choisir de mettre tel micro à tel endroit est déterminant. Elle m’a offert une très large palette, pleine de couleurs et de nuances, qui m’a permis de peindre. Pour d’autres films, ça m’est arrivé de prendre des sons directement sur le tournage et de composer à partir de ça.
Vous dirigez souvent vous-même les enregistrements ?
Oui. Là je viens de faire un enregistrement de flûte traversière, également chez moi. Après, si on avait un orchestre, évidemment qu’il y aurait un chef d’orchestre et des ingénieurs sons, mais j’ai l’impression que je préfère travailler avec des instruments plutôt solistes ou en duo. Ça me permet de co-créer sur le moment. J’aime bien ne pas tout écrire en amont, la sérendipité, dérouler un fil à partir de ce qui surgit.
Comment décririez-vous votre « patte » ?
Je n’ai pas du tout une personnalité sombre, mais mon style musical l’est - mes parents étaient très surpris d’entendre mes premières compos ! J’aime faire intervenir des touches de lumière, de la brillance, mais mon socle est assez sombre. C’est un mélange d’electro et d’éléments organiques qui se rencontrent, se heurtent. J’aime ce qui est atmosphérique, assez lancinant aussi.
Vous avez composé la musique d’un premier long métrage, Moon, 66 Questions de Jacqueline Lentzou, sélectionné cette année dans la compétition Encounters à la Berlinale. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?
C’est une réalisatrice grecque que j’ai rencontrée il y a plusieurs années, par le dispositif « Next Step ». Son film, c’est l’histoire d’une jeune fille qui vit entre Paris et Athènes, elle rentre dans sa famille en Grèce parce que son père est malade, et elle découvre un grand pan de sa vie. C’est introspectif, avec des passages assez métaphysiques. Ça me parle tout à fait. Il y a une séquence magnifique où on voit les étoiles tourner dans le ciel, ça doit durer trois minutes et la musique se déploie dans ce temps. Comme j’ai fait de la mécanique quantique, quand je compose, j’aime essayer de dépasser le concret, d’aller vers quelque chose de spirituel. J’étais imbibée par cette matière quand je l’étudiais, ça crée un monde intérieur, elle fait aussi bien appel à l’imagination scientifique que philosophique.
Vous avez aussi écrit la bande originale de When a farm goes aflame de Jide Tom Akinleminu, également en sélection parallèle à la dernière Berlinale. Qu’est-ce que ça change, de composer pour un documentaire ?
On peut moins fantasmer sur un personnage. Dans ce film, on suit le réalisateur qui explore son histoire familiale et qui, en plus, découvre un secret de famille. Il fallait que je comprenne bien les enjeux de son histoire, ses intentions, ce n’était pas évident en termes de psychologie. Je devais être hyper juste, tandis qu’en fiction on peut parfois raconter d’autres choses. Mais ce n’est pas tant la dichotomie fiction/documentaire qui influence mon travail que la singularité des cinéastes. Par exemple, Jide Tom Akinleminu me faisait des retours très précis sur chaque son dans les musiques que je lui proposais. Avec Quentin sur 5ème set, c’était de la dentelle : j’avais la séquence, toutes les versions, j’adaptais…
Qu’est-ce que vous écoutez, vous ? Quels compositeurs de musique de film vous inspirent ?
Je me réfère toujours aux musiciens classiques : Bach, Lidszt, Chopin… En composition de musique de films, j’aime beaucoup Johan Johansson [compositeur de plusieurs B.O. de films de Denis Villeneuve, comme Premier Contact, ndlr.] et Hildur Guðnadóttir, la compositrice du Joker [qui a remporté un Oscar pour cette B.O., ndlr.] et de la mini-série Chernobyl – c’était une des références que j’avais données à Quentin pour 5ème set. Le musicien electro Rone, qui a remporté le César cette année pour La Nuit Venue de Frédéric Farrucci, le premier film dont il a composé la musique. Et je viens de découvrir Mica Levi que j’écoute en boucle en ce moment.
Propos recueillis par Timé Zoppé
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