Le parfum des souvenirs

Vicky (la captivante Sally Dramé) n’est pas une petite fille ordinaire : elle a le don d’identifier et de reproduire toutes les odeurs qui l’entourent. Son passe-temps favori consiste à enfermer les odeurs qu’elle recompose dans des bocaux, puis à les étiqueter avec soin. Mais ce que Vicky a de plus cher au monde, c’est sa mère, Joanne (Adèle Exarchopoulos), dont elle ne se lasse pas de recréer l’odeur. Lorsque la sœur de son père, Julia (Swala Emati) fait irruption dans sa vie, Vicky va découvrir que son don est bien plus puissant qu’elle ne l’imagine. Mémoire olfactive, pouvoir magique, malédiction ? Guidée par son flair, la petite fille est bien décidée à percer les secrets enfouis qui troublent sa famille. 

Le feu et la glace

Dans Les Cinq Diables, tout est une question d’équilibre. Le film s’ouvre sur une séquence aérienne de la Vallée de l’Oisans, en Isère, sublimée par la mélodie envoûtante de Florencia Di Concilio, compositrice de la bande-originale. Pour ce tournage réalisé à l’argentique en 35 mm, Léa Mysius a collaboré avec le directeur de la photographie Paul Guilhaume qui a notamment travaillé sur Les Olympiades de Jacques Audiard (2021). Esthétique léchée, grain, palette de couleurs extrêmes aussi froides que brûlantes, l’univers visuel des Cinq Diables lui confère une atmosphère unique et hors du temps, presque magique. S’ajoutent le jeu des acteurs qui oscille entre pudeur et lâcher-prise et une écriture maîtrisée.

Intrigués dès les premières minutes, nous plongeons peu à peu, comme Joanne, dans un lac glacé qui cristallise les souvenirs, les mystères et les non-dits.

Total Eclipse Of The Heart

Si elle est au centre du récit, l’odeur n’en n’est pas seulement le propos fantastique. Au-delà de son lien avec l’étrange pouvoir de Vicky dans le film, elle est profondément liée à l'intimité et aux secrets des personnages. Comme si tout ce qui avait été occulté dans le passé ressurgissait à travers un parfum trahissant les actes manqués et les désirs sacrifiés. Dans Les Cinq Diables, les humains se mentent, mais l’odeur ne trompe jamais. 

Le prisme fantastique du film n’est pas une fin en soi, il participe à déconstruire notre vision initiale pour nous plonger dans l’intimité mystique des personnages. Les Cinq Diables met en scène l’amour passionnel, mais aussi le carcan familial, la fatalité, l’obsession et la reconstruction de soi. Léa Mysius nous livre un film inclassable et riche qui apporte sa pierre à l’édifice du renouveau du cinéma français. 

Marie Serale | @marie_serale