Red Rocket, la comédie savoureuse de Sean Baker
Red Rocket, le dernier film de Sean Baker (Tangerine, The Florida Project), arrive enfin sur nos écrans après un succès tonitruant au Festival de Deauville l’année dernière (prix du Jury et de la Critique), ainsi qu’un passage remarqué au Festival de Cannes. Le cinéaste revient avec un film au budget resserré tourné en pleine crise sanitaire. Malgré tout, le projet reflète l’échelle de ses contraintes et voit le jour alors que Sean Baker travaillait depuis plusieurs années sur un tout autre film. Il déterre alors l’idée de Red Rocket, qui est pourtant loin d’être une étape mineure dans sa carrière.
On suit Mikey, une ancienne gloire du cinéma porno qui décide de reprendre un semblant de vie normale après 18 ans de métier. De retour dans sa ville natale de Texas City, située dans la banlieue de Houston (et des fameux Texas Killing Fields), il reprend contact avec son ex-femme Lexi, dont il a aussi chapeauté la carrière pornographique.
La révélation Simon Rex
Si le film a fait sensation en festival l’année dernière, c’est notamment grâce à la performance de l’acteur Simon Rex. Véritable ex-star du porno dans la vie, qui a connu une carrière d’animateur chez MTV dans les années 90, l’acteur se cherchera une carrière à la télévision et au cinéma au début des années 2000 : on se souviendra peut-être de lui en avatar d’Eminem dans Scary Movie 3.
Presque 20 ans plus tard, alors que Simon Rex vit maintenant dans le désert de Joshua Tree en Californie, il reçoit un appel de Sean Baker qui se souvenait de ses apparitions déjantées sur MTV. La suite fait partie de Red Rocket : une performance centrale à la fois drôle et détestable saluée par la critique, qui va à coup sûr placer l’acteur sur tous les radars. Pas mal pour un quelqu’un qui était pourtant prêt à faire une croix sur sa carrière !
Syndrome Lolita
De tchatcheur invétéré à narcissique, le film dresse le portrait d’un véritable parasite dont le « tableau de chasse » sexuel cache avant tout un péché de vanité qui transpire dans chacune de ses conversations. Lui qui côtoyait le Hollywood du porno en amassant des millions de vues en ligne vit ce retour à la réalité avec déni, feignant l’authenticité avec celles et ceux qui font partie de son passé.
Mikey se prend d’affection pour Strawberry, une adolescente de 17 ans qui travaille dans un magasin de donuts proche de la maison de son ex-femme. Cette relation, symptomatique d’un véritable syndrome de Lolita, n’est pourtant pas illégale au Texas, état dans lequel l’âge de consentement est de 17 ans. Mikey va bien sûr profiter de la situation, voyant en Strawberry l’espoir d’une nouvelle vie dans l’industrie qu’il vient de quitter.

Red Rocket fait ici écho à la réalité sordide de cette industrie aujourd’hui, voulant faire percer de jeunes filles ayant tout juste l’âge légal. Le film évite cependant de lui donner le statut de victime, le personnage « n’ayant rien d’un agneau face au grand méchant loup » comme l’assure Sean Baker en interview chez nos confrères de Télérama.
L’Amérique à la marge
On le sait, Sean Baker tient avant tout à mettre un coup de projecteur sur les populations marginalisées, les exclus du capitalisme : qu’ils soient SDF ou tout juste autonomes pour louer une maison dans la banlieue industrielle de Texas City, comme ici dans Red Rocket. Malgré ce triste tableau, le film est l’un des plus drôles de la carrière du cinéaste qui arrive ici à trouver un habile équilibre entre comique de situation loufoque et drame social sur l’Amérique profonde post-Trump.

Et comme à son habitude, le réalisateur tourne en pellicule, aidé par le directeur de la photographie Drew Daniels (It Comes At Night). L’image est saturée, chaleureuse et nous montre pourtant un monde jonché de tours d’aciers, appartenant aux usines qui composent l’omniprésente toile de fond du film. L’objectif pour Sean Baker (via Vogue) était avant tout de "trouver une certaine beauté dans des paysages jugés comme mornes et sans vie". Le pari est réussi : le décor de Texas City participe grandement à l’atmosphère du film avec son cadre hors du temps.
Hugo Cléry | @HugoClery