Ridley Scott, l’épique plus que l’Histoire

“Get a life”. Cette phrase lapidaire prononcée par Ridley Scott à ceux qui pointent les inexactitudes historiques de ses films pourrait bien être vu comme un manifeste du réalisateur britannique. À l’occasion de la sortie au cinéma de son Napoléon, retour sur la carrière du cinéaste qui a toujours privilégié l’histoire… à l’Histoire.
Avec un grand H

Les Duellistes, 1492 : Christophe Colomb, Kingdom of Heaven, Robin des bois, Le Dernier duel… En près de 50 ans de carrière au cinéma, Ridley Scott s’est imposé comme l’un des grands metteurs en scène du film historique. Il a à la fois revitalisé le genre désuet du péplum (Gladiator), enluminé avec la même ferveur les conflits les plus anciens (Exodus : Gods and Kings) comme les plus récents (La Chute du faucon noir), et redonné ses lettres de noblesse à l’épique sur grand écran. Mais cet attrait du réalisateur pour l’histoire avec un grand H va de pair avec un élément encore plus cher à son cœur : le spectacle. Et non, l’empereur Commode n’est pas mort dans l’arène, tué par un soldat devenu esclave. Et oui, Ridley Scott est avant tout cinéaste, et a prouvé maintes fois qu’il privilégie l’aspect dramaturgique d’un récit à sa véracité historique. Une position qu’il a défendu à nouveau récemment concernant sa version de la vie de l’empereur des Français : “Si vous voulez vraiment comprendre Napoléon, vous devriez probablement étudier le sujet et lire dessus par vous-même. (...) Ce film, c’est cette expérience racontée à travers les yeux de Ridley.”
Le jeu de la vérité

À ce titre, le réalisateur renvoie à la fois la puissance subjective du cinéma, son rôle de conteur, mais également la vérité faussement objective de la grande histoire. Il nous rappelle que celle-ci doit être prise avec toutes les précautions qui s’imposent, et que la véracité historique se cache bien souvent dans ses ombres. Un sujet qui était d’ailleurs le cœur de son film Le Dernier duel (2021), qui questionne justement cette idée de vérité historique absolue, lui opposant une vérité arrangée pour des raisons politiques et morales. Cette question de la vérité, et comment l’histoire des hommes est transmise à travers le temps, parcourt toute l’œuvre de Scott. Elle est l’une des thématiques principales de son film Kingdom of Heaven (2005), dans lequel le personnage de Bailan (Orlando Bloom) cherche à définir la justesse de ses actions. La Croisade est-elle une guerre juste ? La vérité est-elle de mon côté ? Le thème est aussi en sous-texte de son Robin des bois (2010), dans lequel le cinéaste s’amuse des origines de ce personnage fictif du folklore britannique, lui donnant une assise historique certaine. Une nouvelle occasion pour lui de brouiller la frontière entre mythe et réalité, et d’interroger une fois de plus cette notion de véracité historique.
“Ne vous êtes-vous pas assez divertis ?”

Adorateur de l’Histoire, et fervent défenseur du pouvoir des récits qu’on se raconte, Ridley Scott rappelle d’une certaine manière que le grand récit de l’humanité est justement cette multitude d’histoires complexes, entremêlées et indivisibles. Et qu’en tant que cinéaste, ce qu’il raconte est aussi important que la manière dont il le raconte. C’est au final Maximus Decimus Meridius, héros du film Gladiator, qui encapsule bien la position du réalisateur. Souvenez-vous, à la fin d’un combat sanglant dans l’arène, le personnage harangue la foule avec une question cinglante et définitive : “Ne vous-êtes vous pas assez divertis ?”. La même que Ridley Scott pourrait poser, malicieusement, à ses détracteurs
de Thibaud Gomès-Léa