Vélo, bagarre, dodo

Vincent est graphiste dans une agence de publicité. Il vit à Lyon et se déplace à vélo. Il n’est pas détestable, mais pas spécialement aimable. On peut s’identifier facilement à ce protagoniste et à sa vie sans histoires, dans la norme. Jusqu’à ce que, soudain, on l’attaque sur son lieu de travail, au beau milieu de l’open space : un stagiaire le frappe violemment avec un ordinateur portable, puis un autre collègue l’agresse, dans un accès de rage. Ces situations choquantes deviennent rapidement sa routine, lorsque même des inconnus commencent à vouloir sa peau. Vincent n’a plus le choix : s’il veut survivre, il doit se battre et fuir. 

Karim Leklou incarne à la perfection cet homme banal propulsé dans un monde invivable. L’acteur dégage un équilibre parfait entre la fragilité et la brutalité, à l’inverse des physiques que l’on retrouve souvent dans les films d’action. Dans Vincent doit mourir, Karim Leklou pourrait être ce voisin, ce collègue qu’on décrirait comme Monsieur tout-le-monde. Tout ceci rend les scènes de violence du film particulièrement surprenantes. D’abord, parce que les combats semblent réalistes et peu chorégraphiés, très brutaux mais souvent maladroits. Mais aussi et surtout parce que la violence n’est pas progressive : dans le film, il suffit qu’un individu regarde Vincent dans les yeux pour qu’il ressente le besoin de le tuer à tout prix. 

À la marge

Mais Vincent doit mourir n’est pas qu’une suite de bagarres carabinées entre collègues, voisins et parfaits inconnus. Le film s’amuse aussi de l’absurdité de la violence, donnant lieu à un combat aussi burlesque que virulent dans une fosse septique, par exemple. À mi-chemin entre le survival, le thriller et la comédie noire, le film est teinté d’une ironie tantôt cocasse, tantôt glaçante. Présent dans le scénario de Mathieu Naert, ce mélange des genres contribue grandement à la singularité du film, même s’il déroute parfois au point d’altérer le développement de son propos.  

Cette recherche d’équilibre entre différentes tonalités se ressent à travers l’intrigue et les personnages. Le film laisse d’ailleurs au spectateur le soin d’explorer plusieurs pistes quant à l’origine de cette vague de violence : Vincent sombre-t-il dans la paranoïa ? S’agit-il d’un complot ? Si l’on se questionne tout au long du film, on comprend finalement que la véritable interrogation concernant le destin du personnage est plutôt “Combien de temps va-t-il pouvoir survivre ?”. D’autre part, les personnages avec qui Vincent va échanger lors de moments de répit durant sa cavale vont lui donner une vision différente de sa propre réalité. D’homme médiocre, il va devenir marginal et même trouver un équilibre amoureux aux côtés de Margaux (Vimala Pons), qu’il n’aurait peut-être jamais connue ailleurs que dans ce chaos. 

En donnant à voir la survie dans un monde dominé par la violence, le film fait écho à notre réalité et interroge l’individualisme et les rapports humains. Si son rythme est parfois alourdi par le mélange des tons et des genres, Vincent doit mourir reste une proposition enthousiasmante portée par d’excellents acteurs.

Marie Serale | @marie_serale