Wim Wenders, la beauté est dans le regard
De son Allemagne natale à l’Amérique, en passant par Cuba, Wim Wenders s’est imposé comme le réalisateur itinérant par excellence, célébrant l’aventure humaine à travers le monde. Avec son nouveau film Perfect Days, il fait halte dans le quotidien d’un modeste agent d’entretien tokyoïte pour enluminer la beauté simple de la routine.
Changement de perspective
À travers l’existence épurée de Hirayama, ce quinquagénaire presque mutique employé des toilettes publiques de Tokyo, Wim Wenders revient avec Perfect Days à ses thèmes de cœur. Un cinéma de figures errantes, en quête de sens, et qui trouvent bien souvent les réponses à leurs questions en changeant de regard sur le monde. On pense naturellement au personnage de Harry Dean Stanton dans Paris, Texas (1984) ou à celui de Bruno Ganz dans Les Ailes du Désir (1987), tous les deux en marge d’une société à laquelle ils ne parviennent pas (ou plus) à se connecter.
Ces personnages sont ainsi devenus simples spectateurs de l’humanité. Un changement de perspective, de regard, qui leur permet de saisir l’invisible aux yeux des autres, la poésie dans la simplicité du réel. À l’instar de Kōji Yakusho dans Perfect Days, captant la beauté nue dans ses clichés d’appareil jetable ou dans les reflets du soleil dansant sur les murs des toilettes qu’il nettoie.
Guérir notre vision du monde
Cette posture de témoin, cette façon de voir le monde, c’est l’autre grand aspect de la carrière de Wim Wenders : celle du documentariste. Outre ses œuvres de fiction, le réalisateur allemand est connu pour ses films documentaires. Buena Vista Social Club (1999), Pina (2011), Le Sel de la terre (2014)... Et ce n’est pas anodin qu’au moment où Perfect Days arrive sur les écrans, le cinéaste propose également le documentaire Anselm, dédié au plasticien Anselm Kiefer, et sous-titré joliment “Le Bruit du temps”.
Fiction et documentaire, comme deux sillons tracés en parallèle pendant près de 60 ans de carrière. Cette multiplicité des œuvres et des types de production (le réalisateur a également signé des clips musicaux), participe à ce façonnage du regard qu’appelle Wim Wenders, nécessaire pour panser ses plaies. Il le disait d’ailleurs en 2014 : “Les films peuvent guérir ! Pas le monde bien sûr, mais notre vision du monde, et c'est déjà suffisant”.
Façonner son regard
Finalement, cette citation encapsule peut-être bien tout le cinéma de Wenders. Comme si pour changer le monde, il fallait surtout en changer sa vision, modeler son regard, le façonner grâce à l’art et grâce aux artistes : plasticiens (Anselm Kiefer), danseurs (Pina Bausch), musiciens, photographes (Sebastião Salgado)... et cinéastes bien sûr.
C’est en tout cas la discipline que s’impose son personnage principal dans Perfect Days. Ainsi, loin de l’opulence et la vie faste qu’il a abandonné, Harayama choisit la routine. Pour mieux saisir la poésie de l’indicible, la beauté de la simplicité… Et l’important, sans doute, au bout du compte
de Thibaud Gomès-Léal