L’Étranger : sous le soleil impitoyable

© Carole Bethuel - FOZ - GAUMONT - FRANCE 2 CINEMA

Date de publication : 29.10.25

On l'a vu récemment avec Les Trois Mousquetaires et Le Comte de Monte-Cristo : les adaptations de grands classiques de la littérature française au cinéma ont, aujourd’hui plus que jamais, le vent en poupe. L'adaptation a beau être courante, elle constitue toujours un pari audacieux : celui de s’émanciper de l’expérience intime de la lecture et de présenter au public un imaginaire qui n’est pas forcément le sien. Considéré comme l’un des romans francophones les plus lus dans le monde, L’Étranger d’Albert Camus a été adapté une première fois pour le cinéma en 1967 par Luchino Visconti. Aujourd’hui, François Ozon signe une relecture sombre et sensuelle du roman, portée par Benjamin Voisin et Rebecca Marder.

Adapter un monologue intérieur

Dans son roman, Albert Camus nous plonge dans la psyché opaque de Meursault, en racontant l’entièreté de l’histoire à la première personne du singulier. Mais alors, comment adapter un monologue intérieur pour le cinéma ? Sans céder au choix d’une voix-off qui aurait donné au récit une dimension didactique, François Ozon nous propose un nouveau regard sur L’Étranger. En nous plongeant dans sa propre interprétation du roman sans chercher à résoudre les questionnements qu’il soulève, il éclaire son contexte, tout en renforçant sa dimension mystérieuse. Pour ce faire, le cinéaste choisit notamment de s’écarter du fameux incipit du roman pour ouvrir le film avec une phrase qui s’adresse directement aux spectateurs qui connaissent déjà l’histoire : « J’ai tué un Arabe. ». Par ailleurs, il met aussi en images des éléments qui permettent de replacer le récit dans son contexte historique : nous sommes en 1938 à Alger, on peut apercevoir un écriteau indiquant « établissement interdit aux indigènes » dans un cinéma ou voir un Algérien se faire chasser de la terrasse d’un café.

Si la portée politique du roman d’Albert Camus a maintes fois été analysée et décortiquée, le film de François Ozon met surtout l’accent sur sa dimension existentielle. Le long-métrage éclaire la façon dont Meursault semble déconnecté du monde et son absence de désir de le comprendre. À travers le noir et blanc, le cinéaste prend une certaine distance par rapport à l’œuvre originale, qui décrit les couleurs et les paysages avec précision. On peut voir à travers ce choix une volonté de respecter l’imaginaire du spectateur, afin de lui permettre de ressentir pleinement la puissance du récit. 

© Carole Bethuel - FOZ - GAUMONT - FRANCE 2 CINEMA

Le visage de Meursault

Tout le monde, ou presque, connaît l’histoire de Meursault, mais personne ne connaît son visage. Le personnage n’est pas décrit physiquement par Camus, on ne connaît pas son prénom, et même sa compagne, Marie, l’appelle par son nom de famille. Dans le roman, Meursault pourrait très bien être une silhouette anonyme, une ombre dévorée par le soleil. Dans son film, François Ozon nous présente Meursault sous les traits de marbre de Benjamin Voisin. En nous montrant le visage du héros, il nous invite à contempler son absence d’émotion, jusqu’à ce qu’on décèle quelque chose de vivant, de brûlant, comme un cri que le monde n’entend pas.

À travers une mise en scène élégante qui brille sous un impitoyable soleil en noir et blanc, François Ozon met en images le récit d’Albert Camus en préservant sa puissance et son mystère. Le cinéaste apporte aussi un regard pertinent, en donnant notamment davantage de profondeur aux personnages de Marie (Rebecca Marder) et de Djemila (Hajar Bouzaouit). François Ozon signe ainsi une adaptation captivante, qui ne se contente pas d’illustrer l’œuvre originale, mais qui utilise le pouvoir de l’image pour continuer de questionner.


Marie Serale
 

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