Quentin Dupieux, éloge du non-sens

Musicien, DJ, vidéaste, réalisateur, scénariste, artiste et technicien : Quentin Dupieux échappe décidément à toutes les cases. Comme ses films d’ailleurs, qui bousculent depuis une vingtaine d’années un cinéma français un peu trop sûr de lui… et les attentes des spectateurs par la même occasion.
Contrepied

De ses vidéos amateur dans les années 90 à son dernier film Le deuxième acte, en passant par ses clips musicaux (pour Laurent Garnier, Metronomy, Marilyn Manson et lui-même), Quentin Dupieux entretient depuis 25 ans un savoureux statut d’anomalie. Et tel un sale gosse aimant casser ses jouets, le réalisateur français offre un cinéma qui s’amuse avec les préconceptions pour mieux prendre le public à contrepied.
Un parti-pris que l’on observe dès ses premières productions, dans lesquelles les situations absurdes s’enchaînent sans que cela ne dérange les protagonistes. Dans le clip Nightmare Sandwich (1997), les toilettes d’un bar de nuit se changent ainsi en platine vinyle. Son deuxième court, Duvets (1999), raconte comment un homme se retrouve pris au piège d’un sac de couchage, quand dans Nonfilm (2002), un jeune acteur se retrouve au milieu d’un film qui se tourne… sans caméra. Au début des années 2000, la carrière de Dupieux n’a pas encore atteint le cinéma, qu’il est déjà un créateur inclassable.
Déconstruire le spectateur

Bien aidé par une popularité grandissante, notamment grâce au succès musical de son alter-ego Mr. Oizo, Dupieux va pouvoir développer son univers et aller conquérir le territoire du grand écran. Son premier long-métrage, Steak en 2007, sera tout à la fois un OVNI dans la carrière du duo d’humoristes Eric et Ramzy, que le “film manifeste” d’un univers ultra-référencé.
Teen movie, polar, buddy movie, slasher… Le cinéaste va en effet révéler très tôt son plaisir de tordre les genres et leurs modes d’emploi. Un film d’horreur qui interpelle le spectateur ? Un film policier qui se mue en pièce de théâtre ? Un biopic de Salvador Dali incarné par cinq acteurs ? Autant d’idées (à priori) absurdes qui permettent à Dupieux de jouer avec les codes esthétiques et narratifs de ces genres pour mieux déconstruire l’expérience cinématographique et spectatorielle.
Surréaliste

Résultat : un cinéma unique, drôle, dérangeant… Qui traduit pourtant une ambition artistique bien plus puissante qu’une simple volonté de dérouter. Dupieux revendique ainsi, dans un monde où l’immense majorité des films ont un sens intelligible, un droit au “non-sens”. Le cinéaste se rapproche du mouvement surréaliste, qui prône un retour à une création artistique libérée de toute logique intellectuelle.
Un geste hautement poétique, qui fait la part belle au psychique, au rêve et à l’inconscient, et qui explique la formidable étrangeté des créations d’un cinéaste en renouvellement perpétuel. En 2018, à la sortie d’Au poste !, il racontait d’ailleurs au magazine Libération : “J'ai peur de devenir professionnel, de faire des trucs mous, de faire ronfler une routine, une méthode que j'appliquerais à chaque film.” Il semble donc qu’au-delà de vouloir surprendre son public, Quentin Dupieux a surtout besoin, film après film, de se surprendre lui-même.
Thibaud Gomès-Léal