Armageddon Time, l’enfance désenchantée de James Gray
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Si puiser l’inspiration dans son vécu est fréquent, produire un récit d’une intimité sensible n’est pas chose aisée. Après la forêt amazonienne de The Lost City of Z et le cosmos d’Ad Astra, c’est New-York, sa ville natale, qui sert de décor au nouveau film de James Gray. Présenté en compétition au Festival de Cannes, Armageddon Time n’est pas seulement une fenêtre sur l’enfance du cinéaste. C’est aussi la photographie d’une époque datée et d’un fragment crucial de vie, dont les maux résonnent encore aujourd’hui en chacun de nous.
Apprentissage et injustices
C’est la rentrée 1980. Paul Graff (interprété par Banks Repeta), adolescent facétieux âgé de douze ans, fréquente une école publique du Queens. Contestataire et rêveur, Paul n’a que faire des études : il veut devenir artiste. Johnny (Jaylin Webb), un camarade de classe avec qui il se lie d’amitié, partage son goût pour la rébellion, mais pas sa condition sociale, ni sa couleur de peau. Ensemble, ils vont, au grand dam des parents de Paul, faire les quatre cents coups, mais sans en subir les mêmes conséquences.
Armageddon Time est d’abord un film à l’écriture remarquable. Chacun des personnages, du cadre familial au milieu scolaire, apporte profondeur et texture au tableau des souvenirs de James Gray. Ainsi, Paul ramène le cinéaste a sa propre enfance. Petit-fils d’émigrés juifs, sa famille place en lui des espoirs qu’ils n’ont fait que frôler, transformant jusqu’à leur patronyme pour échapper à la discrimination. Les parents, Esther et Irving (les excellents Anne Hathaway et Jeremy Strong) désirent pour leurs enfants une élévation sociale dictée par le rêve américain.
Si l’apprentissage et l’avenir sont au cœur des préoccupations familiales, Armageddon Time offre aussi une lecture complexe des relations humaines, régies par l’amour, l’amitié, mais aussi les frustrations et l’injustice. Encouragé par un grand-père lucide et optimiste, aimé par une mère tendre et inquiète, Paul est aussi incompris par un père résigné et violent. Transféré dans un collège privé suite à une énième bêtise, le jeune protagoniste va peu à peu prendre conscience des notions de privilèges et de classes sociales, notamment lors d’un discours de Maryanne Trump (Jessica Chastain), ancienne élève de son école et avocate, qui n’est autre que la soeur de Donald Trump.
New-York, entre amour et fantômes
James Gray retranscrit à la perfection son New-York des années 1980, magnifié par l’insouciance adolescente que vient assombrir la perte de l’innocence. Ainsi, comme le cinéaste dans son enfance, le jeune Paul a pour idole le champion du monde de boxe Muhammad Ali, icône de liberté et de courage. L’ancrage culturel du film se lit aussi dans ses références musicales, à commencer par le morceau de reggae Armagideon Time de Willi Williams, dont la reprise de The Clash conclut le long-métrage et inspire à James Gray son titre.
Ainsi, le cinéaste dépeint avec finesse aussi bien le monde de l’enfance qui se fissure, que l’entrée dans une nouvelle ère pour l’Amérique. Le récit fait un parallèle constant entre la nostalgie profondément intime des moments de joie passés en famille, du souffle irrésistible de liberté de l’école buissonnière, mais aussi la nostalgie universelle d’une époque toute entière. Armageddon Time raconte la rupture, qu’elle soit générationnelle, personnelle, mais aussi à l’échelle d’un pays, notamment marquée par l’élection de Ronald Reagan.
De la révélation, comme une épiphanie, de Paul devant un tableau de Kandinsky, se voyant déjà au sommet de sa gloire, au projet délicieux de sécher les cours pour assister à un concert de The Sugarhill Gang, nous sommes, nous aussi propulsés loin de l’innocence, désenchantés.
« Never give in Jelly bean »
L’Armageddon, terme aussi légendaire que terrifiant, renvoie, dans la Bible, au lieu de l’ultime combat entre le Bien et le Mal lors de l’Apocalypse. Avec sa mise en scène feutrée, dépourvue d’artifices dramatiques, comme l’écrin d’un propos puissant, Armageddon Time porte bien son titre. Le cinéaste se penche sur une période décisive de sa vie, en plaçant Paul, son alter ego, au seuil de l’effondrement de ses repères.
Parmi eux, Paul peut compter sur son grand-père, Aaron, merveilleusement interprété par Anthony Hopkins. À ses côtés, il va grandir au son du récit des combats de ses ancêtres, mais aussi réaliser qu’au sortir de l’enfance, il faut choisir qui l’on va être. « Never give in Jelly bean », lui répond Aaron lorsque l’enfant lui raconte les injures subies par son ami noir. « Ne laisse pas passer, ne te soumet pas ». Cette réplique est particulièrement centrale dans le film car elle marque la prise de conscience de Paul du racisme ambiant et de l’injustice qui pèse sur son ami Johnny, stigmatisé quoi qu’il fasse.
Ce qui est aussi magistralement mis en avant par le cinéaste, c’est le caractère éphémère de situations pourtant cruciales au moment où on les vit. Le film s’achève sur des plans fixes de pièces à la fois familières et vides, comme pour symboliser ce qu’on laisse derrière soi, nostalgique et apaisé, à mesure qu’on trace son chemin de vie. En retournant là où tout a commencé, James Gray nous offre, avec Armageddon Time, un film subtil et intelligent, en passe de devenir un incontournable du cinéma américain contemporain.
Marie Serale | @marie_serale
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