Les Filles d’Olfa : sororité et malédiction
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Présenté en compétition du 76e Festival de Cannes et absent du palmarès, Les Filles d’Olfa a cependant reçu l’Œil d’or (le Prix du documentaire créé par la SCAM, Société civile des auteurs multimédia). Il faut dire que la singularité et l’audace du dernier long-métrage de Kaouther Ben Hania méritaient amplement d’être récompensées. Treize ans après son premier documentaire Les imams vont à l’école, la cinéaste tunisienne réinvente le genre pour raconter l’histoire d’Olfa et de ses filles, à travers un dispositif cinématographique qui mêle la fiction à la réalité. Ce pari risqué a donné lieu à un récit fascinant, aussi sensible que troublant.
Quand la réalité épouse la fiction
« Si j’ai bien compris, je suis un peu comme le personnage de Rose dans Titanic. Elle raconte son histoire et des acteurs vont jouer cette histoire. » s’amuse Olfa face caméra. Âgée d’une cinquantaine d’années, elle vit en Tunisie avec Eya et Tayssir ses deux filles cadettes. Les deux aînées ont été « dévorées par le loup », explique la réalisatrice durant les premières minutes du film. Rahma et Ghofrane ont en fait fui en Libye pour rejoindre Daech.
En 2016, alors qu’elle termine son documentaire Zaineb n’aime pas la neige, Kaouther Ben Hania entend l’histoire d’Olfa et de ses filles à la radio et décide de les rencontrer. Mais comment retracer cette histoire tragique, comment raconter l’absence et convoquer les souvenirs en restant au plus près de la vérité ? Quelques années plus tard, la cinéaste décide de développer un dispositif de cinéma pour mettre en scène ce récit : elle fait appel à des actrices, Nour Karoui et Ichraq Matar, pour interpréter les deux aînées disparues. Quant à Olfa, elle dispose d’une doublure, la star tunisienne Hend Sabri, qui joue son rôle pour reconstituer les scènes de sa vie jugées émotionnellement trop difficiles.
Raconter l’absence
En mêlant la fiction à la réalité, Kaouther Ben Hania prend le risque d’altérer la sincérité du récit. Pourtant, il n’en est rien dans Les Filles d’Olfa. La cinéaste donne à voir les témoignages face caméra et les scènes jouées, mais aussi le processus de fabrication de son film, dans une narration hybride. Kaouther Ben Hania assume complètement l’aspect artificiel de la mise en scène et n’hésite pas à briser le quatrième mur au beau milieu d’une séquence pour lui donner du relief. Tout cela participe à faire du film une œuvre aussi captivante que déroutante.
La complexité du dispositif prend finalement tout son sens pour raconter l’absence, entre tabou et catharsis. Le montage trouble tisse une introspection qui tente de faire comprendre ce qui est arrivé à cette famille, tout en ne délivrant jamais de réponse arrêtée, poussant le spectateur à continuer de se questionner jusqu’à la dernière minute et bien longtemps après le film. Devant la caméra, des moments de complicité naissent entre les actrices et les jeunes filles et à mesure que les souvenirs ressurgissent, les paroles se font entendre.
Une histoire de femmes
Portrait familial, thérapie, catharsis : Les Filles d’Olfa est une œuvre protéiforme qui impacte autant ses actrices que ses spectateurs. Eya et Tayssir, les deux cadettes, disent dans le film qu’il leur permet de s’exprimer. En effet, au-delà de reconstituer une histoire tragique, il confronte des générations de femmes et donne à voir la société dans laquelle elles évoluent. Le film met en avant un déterminisme social tout en questionnant la responsabilité individuelle des individus, notamment à travers le vécu d’Olfa et sa volonté d’indépendance dans la société patriarcale. C’est toute son ambiguïté, ses contradictions, ses zones d’ombre en tant que femme et mère, qui donnent ce ton si singulier au récit. On assiste notamment à la préparation d’une scène qui reconstitue la terrible nuit de noces d’Olfa, mariée de force : celle-ci va jusqu’à diriger les comédiens sur le plateau pour accentuer l’authenticité du propos ou, peut-être, pour réécrire sa propre histoire.
Et, dans un même temps, le long-métrage se pare de milles nuances, en donnant à voir et à entendre les points de vue des jeunes filles qui ont grandi au contact des violences sociétales et familiales reproduites comme une malédiction. À travers l’histoire intime de ces générations de femmes, de cette famille, c’est l’histoire de tout un pays qui apparaît. La maternité, l’enfance, l’adolescence sont racontées à travers autant de souvenirs et de confidences que de sujets comme la violence et la radicalisation. D’introspection familiale à célébration de la libération de la parole, Les Filles d’Olfa nous frappe en plein cœur, déchirés entre des émotions contraires.
Marie Serale | @marie_serale
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