James Mangold, passion Americana
Nostalgie d’enfance
Les parents de James Mangold sont tous deux de célèbres artistes peintres new-yorkais. Dès son enfance, il est baigné dans un univers culturel riche, assistant à de nombreux vernissages. À l’âge de huit ans, il se met à jouer avec la caméra super 8 de son père et se crée même une petite salle de montage dans sa chambre. Influencé par des cinéastes grand public comme Steven Spielberg et George Lucas, il rêve de devenir réalisateur. Avant même son entrée à l’université, il a déjà réalisé une vingtaine de courts métrages, dont un primé dans un petit festival à New York. Il s’inscrit d’abord à la California Institut of the Arts à Los Angeles, où il se forme sous la férule du metteur en scène Alexander Mackendrick, qui devient même son mentor.
Après avoir obtenu son diplôme, il est engagé par le studio Disney pour lequel il réalise des films promotionnels. En 1988, il signe son premier scénario, Oliver et Compagnie, dessin animé se déroulant à New York, la ville de son enfance. Malgré ce premier succès, Mangold peine à trouver sa place à Hollywood. Il décide donc de reprendre ses études et de retourner sur la côte Est afin de suivre une master class à la prestigieuse université de Columbia. Là-bas, il cultive une passion pour le cinéma classique. Il intègre un groupe de huit élèves qui vont apprendre directement aux côtés du grand réalisateur Milos Forman. Mangold est ainsi profondément marqué par la générosité et les conseils transmis par Forman et Mackendrick au cours de son apprentissage.
Il se lance en 1995 avec le film Heavy, disposant d’un budget de 500 000 $. Dès ce premier long-métrage, on retrouve les obsessions du cinéaste qui le poursuivront durant toute sa carrière. Mangold s’intéresse particulièrement à une Amérique périphérique et surannée. Le film a pour cadre un dinner, restaurant emblématique et typiquement américain, qui cultive un certain art de vivre tout droit sorti des années 1960. Il s’inspire aussi beaucoup de sa jeunesse passée dans le nord de l’état de New York pour nourrir ses décors. Avec ce petit film indépendant, il obtient le prix de la meilleure réalisation au Festival de Sundance. Malgré tout, Heavy est un échec. Mangold se retrouve fauché et sans emploi. Il parvient contre toute attente à faire distribuer son film dans le monde entier lorsqu’il est sélectionné pour le Festival de Cannes à la Quinzaine des réalisateurs en 1995.
Fort de cette reconnaissance internationale, le milieu hollywoodien commence à s’intéresser à lui. Il écrit son projet suivant durant la production de Heavy. Les studios sont conquis par son scénario, seulement ils n’ont pas franchement confiance en sa capacité à le mener à bien. On lui offre beaucoup d’argent pour qu’il vende son script afin qu’un réalisateur chevronné puisse le tourner, mais il refuse. Il rencontre alors les frères Weinstein, qui lui assurent qu’il pourra réaliser lui-même son projet. Il se lance ainsi dans la production de Cop Land.
Les Weinstein souhaitent engager une star pour interpréter le personnage principal, afin de contre-balancer le fait que Mangold soit encore un cinéaste méconnu. Faute de budget, ils accusent un grand nombre de refus. Finalement, Sylvester Stallone est proposé à James Mangold, mais le metteur en scène est réticent. Après une rencontre à New York avec Stallone, il change d’opinion, l’acteur lui ayant donné la garantie qu’il se plierait à ses nombreuses exigences. Sly doit notamment gagner plus de quinze kilos afin d’interpréter le personnage : « je te veux doux, faible, gras et tu ne seras pas un héros dans ce film », lui aurait-il dit au cours de ce dîner. Après le drame, Mangold s’attaque au film policier avec une nouvelle fois une emphase particulière sur une Amérique périphérique, tout droit sortie de ses souvenirs d’enfance. L’action se déroule dans une banlieue du New Jersey dominée par un groupe de policiers corrompus.
Loin des images d’Épinal de la figure du policier héroïque, Mangold brosse un portrait sans complaisance de ce milieu. Il met aussi en scène une nouvelle fois un personnage principal ayant un handicap physique. Après le cuisinier obèse dans Heavy, le personnage de Stallone a cette fois une surdité partielle. Outre l'interprète de Rocky, Cop Land est mené par un casting cinq étoiles comprenant Harvey Keitel, Robert De Niro, et Ray Liotta. Mais malgré des critiques dithyrambiques, le film n’est pas un énorme succès au box-office américain. Sylvester Stallone dira d'ailleurs en 2019 que même si James Mangold est le meilleur réalisateur avec lequel il ait travaillé, le semi-échec de Cop Land a été un frein énorme à sa carrière, prouvant que son nom n’assurait plus un succès automatique aux longs-métrages dans lesquels il tiendrait le rôle principal.
Malgré tout, Winona Rider, grande admiratrice du travail de Mangold sur Heavy, le contacte pour qu’il lise le livre Une vie volée, autobiographie de Susanna Kaysen à propos de son internement à la fin des années 60. Rider souhaite faire adapter cet ouvrage afin d’en interpréter le rôle principal, avec Mangold derrière la caméra. Fasciné par l’histoire, le contexte et souhaitant s’émanciper du carcan typiquement masculin de Cop Land, Mangold accepte de s’occuper de ce projet.
Le metteur en scène va livrer une vision réaliste de l’Amérique des années 1960 et dessiner des portraits impactants de femmes en crise. Sans pour autant diaboliser la psychiatrie de cette époque à travers son histoire, James Mangold va démontrer que la société américaine participait à la dérive psychologique de ces personnes fragiles. Une vie volée sera également le film de la consécration pour Angelina Jolie, qui interprète le rôle de Lisa, nymphomane, manipulatrice, mauvaise conscience de Susanna, interprétée par Winona Rider. Jolie obtiendra même l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour son travail.
Durant cette première partie de carrière, James Mangold laisse déjà esquisser une marque de fabrique, un style qui fait la part belle à ses personnages, dans un contexte typiquement américain et nostalgique.
Icônes et légendes
Pour la suite de sa carrière, James Mangold sera toujours en recherche de projets différents dans lesquels il serait à même de développer ce style et cette fascination pour une certaine image de l’Amérique passée. Il ira même plus loin en iconisant ses personnages principaux, et en mettant en scène de grands moments de la petite histoire américaine. Ainsi, dans Walk the Line, il s’attaque à la figure complexe de Johnny Cash, l’un des pères du rock’n roll et de la folk américaine. Pour tous ses films musicaux, sa philosophie sera la même.
Il est à la recherche constante du réalisme. Il souhaite que ses acteurs interprètent et jouent véritablement des instruments afin que le public puisse croire en leur prestation. Il veut éviter le syndrome des vieilles comédies musicales où le spectateur peut avoir la sensation qu’une bande est jouée durant les scènes de chant. Mangold cite d’ailleurs Nashville Lady, un film où Sissy Spacek chante réellement, comme sa principale influence pour Walk The Line. Loin d’être une hagiographie, le film ne cache rien des démons qui tourmentent le musicien. Pour autant, Mangold traite le personnage de Johnny Cash comme une icône christique en quête de rédemption. Il se permet aussi le mélange des genres en fusionnant le biopic musical classique avec la romance. Fusion heureuse qui assurera le succès du film, porté par l’interprétation sans faille de Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon. Cette dernière remportera l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de June Carter Cash.
Mangold devient dès l’or une valeur sûre à Hollywood, ce qui lui permet de monter des projets plus ambitieux et complexes. Prenant une nouvelle fois tout le monde de court, il va s’atteler au remake d’un classique du Western, 3h10 pour Yuma. Avec cette démarche déroutante, il souhaite s’inscrire dans une vieille tradition hollywoodienne qui voulait qu’un cinéaste passe d’un genre à l’autre sans rester enfermé dans une case. En ce sens il a la volonté de se rapprocher de grands metteurs en scène des années 40-50 comme Ernst Lubitsch, Michael Powell, Billy Wilder, ou encore Franck Capra.
Le Western est un genre qui, à l’origine, était typiquement américain, mais qui a été révolutionné par les réalisateurs italiens comme Sergio Leone ou Sergio Corbucci durant les années 1970 et 1980. Puis, après une courte parenthèse, le genre est complètement tombé en désuétude. Pourtant, James Mangold y voit un champ d’action idéal pour développer des projets palpitants et grand public. C’est aussi pour lui, une nouvelle fois, l’occasion d’iconiser des figures à la marge et éloignées des standards des héros de l’époque. Le film met sur le devant de la scène un fermier boiteux et un bandit de grand chemin, campé respectivement par Christian Bale et Russell Crowe. Malheureusement et malgré un succès critique, le film n’atteint pas les sommets espérés au box-office mondial.
Ce film va néanmoins amorcer le virage définitif de James Mangold vers le blockbuster. En effet, à l’occasion de la production de 3h10 pour Yuma, il rencontre Tom Cruise afin qu’il interprète l’un des deux rôles principaux. Cruise n’est pas disponible, mais Mangold travaillera ensuite avec lui sur le film Night and Day. Ce qui attire Mangold dans ce script, c’est le mélange des genres entre le film d’action, la comédie et le film d’espionnage. Il y voit l’occasion de revenir aux longs-métrages typiques des années 50-60 comme Charade ou La mort aux trousses. C’est aussi l’opportunité pour lui de travailler aux côtés de Cruise et de mettre en scène des séquences d’action folles dont l’acteur a le secret. Son but, mainte fois répété en interview : faire un cinéma divertissant mais sincère.
Après le succès de Night and Day, il est engagé par la Fox pour réaliser le second projet centré sur le personnage de Wolverine, en remplacement express de Darren Aronofsky. C’est la première incursion de James Mangold dans le genre phare des années 2010, le film super-héroïque. Il retrouve pour l’occasion Hugh Jackman, qu’il avait auparavant dirigé dans la comédie romantique Kate et Léopold, réalisée en 2001. Entre-temps, les films de super héros ont fait de Jackman une star, une icône indissociable de son rôle de Wolverine. Si cette première collaboration super-héroïque entre les deux hommes ne bouleversera pas les codes du genre, c’est avec la suite directement développée par Mangold qu'ils vont pouvoir proposer une œuvre profondément différente et innovante.
Logan, sortie sur les écrans en 2017, propose une déconstruction violente et sans concession du genre. Entre le western, le film d’action et le road movie, Logan est un ultime hommage au personnage de Wolverine, qui a perdu de sa superbe au cours des années. Durant son épopée, il va réapprendre à être un héros, l’icône de papier glacé qu’il était autrefois. Comme un clin d’œil à cette icônisation, Mangold n’hésite pas à inclure les comics X-Men mettant en scène Wolverine directement dans sa narration. Le long-métrage est un immense succès qui va, dès sa sortie, être considéré comme l’un des meilleurs films de super-héros de tous les temps.
Auréolé de ce succès sans précédent, Mangold va chercher à sortir de sa zone de confort en mettant en scène un film à grand spectacle sur la rivalité entre les constructeurs automobiles Ford et Ferrari durant les années 1960. On retrouve cette obsession du réalisateur pour cette décennie cadre de sa petite enfance. Il s’attache également à iconiser des hommes de l’ombre, qui vont être les acteurs principaux d’un évènement de légende, les 24 heures du Mans 1966. Christian Bale et Matt Damon interprètent les personnages principaux, deux visionnaires à fortes têtes qui ont marqué l’histoire de la course motorisée. Sans s’éloigner de ses partis pris adoptés durant la mise en scène de ses films musicaux, il va chercher à être le plus réaliste possible, en proposant des séquences de courses haletantes. Pour la première fois de sa carrière, James Mangold est nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur film et meilleur réalisateur, sans toutefois remporter les précieuses statuettes.
Le Covid va perturber quelque peu ses projets suivants. En effet, alors que Mangold s’était lancé dans la production d’un long-métrage sur Bob Dylan, la pandémie mondiale va stopper l’ensemble de l’industrie hollywoodienne. Le réalisateur n’abandonne pas pour autant son idée, et demande à ses acteurs déjà castés de se tenir prêts pour le tournage. Pourtant, après la fin du Covid, c’est finalement sur la suite tant attendue d’Indiana Jones que le réalisateur va s’atteler. Renouant avec sa passion de jeunesse pour les films de Georges Lucas, et Steven Spielberg, Mangold profite de l’occasion pour s’approprier le personnage iconique interprété par Harrison Ford.
Indiana Jones et le cadran de la destinée est un condensé parfait de toutes les obsessions de Mangold. Le scénario se déroule encore dans les années 1960, et plus particulièrement l’année 1969. La parade des astronautes ayant marché sur la Lune servant même de cadre pour une des scènes d’action. Bien loin de la figure héroïque établie autrefois par Spielberg et Lucas, Mangold met en scène un personnage principal diminué qui subit plus les évènements qu’il ne les provoque. Il s’attache à analyser les regrets d’un héros en bout de course, qui n’a finalement pas eu la fin heureuse espérée.
Après une grève des scénaristes ayant encore repoussé le tournage de son projet passion, James Mangold peut désormais s’atteler à son biopic sur Bob Dylan. Le film se veut comme une sorte de suite directe de Walk The Line, à la fois dans sa philosophie réaliste, mais aussi dans les nombreux ponts dressés entre les deux œuvres. Fidèle à sa réputation, Mangold traite la figure de Bob Dylan comme une icône mystérieuse et insaisissable. Il reproduit également avec une grande fidélité des moments marquants de la vie du chanteur et qui ont forgé sa légende. Un parfait inconnu synthétise parfaitement le style de James Mangold, mais aussi ses inspirations, faisant de ce long-métrage l’aboutissement de la carrière du réalisateur.
Habité par l’Amérique des années 1960, James Mangold n’aura eu de cesse, au cours de ses divers projets, d’en proposer sa vision, telle une carte postale mentale sublimée sur grand écran de cette décennie fantasmée. Sans jamais se cantonner à un genre, le réalisateur a toujours poussé plus loin sa quête de réalisme et de sincérité. Bousculant l’image séculaire du héros américain, Mangold a également mis en lumière des personnages touchants, faillibles, tout en les iconisant à travers sa réalisation. Cinéphile, il a aussi su se créer une carrière à l’image des grands cinéastes qu’il admirait, s’inscrivant ainsi dans une vieille tradition hollywoodienne de metteurs en scène touche-à-tout, soumettant aux publics des divertissements de qualité. De quoi passer de bons moments dans les salles obscures tout en offrant des histoires riches et subtiles.
Raphaël Bleines-Ferrari