L’Inconnu de la Grande Arche : du marbre et des hommes
Portrait d’un idéaliste désenchanté
Après avoir observé les rouages de la justice dans La fille au bracelet (2019) et exploré l’univers carcéral dans Borgo (2023), Stéphane Demoustier s’intéresse à d’autres protocoles et mécanismes de pouvoir, mais aussi à l’architecture, un domaine qu’il connaît bien. L’Inconnu de la Grande Arche est non seulement l’adaptation du roman La Grande Arche de Laurence Cossé, mais aussi une forme de retour aux sources pour le cinéaste, qui, pendant plus de 10 ans, a réalisé des films pour le Pavillon de l’Arsenal et la Cité d’architecture. Dans son nouveau long-métrage, il s’intéresse aussi à la situation politique en France dans les années 1980. La scène d’ouverture mémorable en propose une représentation concrète : on y voit François Mitterrand (incarné avec juste ce qu’il faut d’humour par Michel Fau) annoncer le nom du vainqueur du concours international d’architecture lancé pour la construction du futur monument de la Défense.
Loin du palais de l'Élysée et de la cour du président, Johan Otto Von Spreckelsen (Claes Bang) est chez lui, au Danemark, les pieds dans l’eau, lorsqu’il apprend qu’il est l’heureux gagnant. Cet architecte de 53 ans qui n’a construit que sa maison et quatre églises a séduit François Mitterrand avec son idée de cube géant. Stéphane Demoustier nous présente d’emblée un personnage en décalage : cet homme, immense par la taille, vêtu d’un éternel costume et de sandales, se retrouve propulsé dans l’agitation parisienne avec des idéaux plein la tête. Cet architecte inconnu devient ainsi le personnage central du film. Autour de lui gravitent des personnages secondaires très intéressants, qui le voient comme un visionnaire ou un artiste borné et naïf. Xavier Dolan et Swann Arlaud, qui interprètent avec brio Jean-Louis Subilon, haut fonctionnaire, et Paul Andreu, architecte, semblent presque personnifier les tourments de Johan Otto Von Spreckelsen. Stéphane Demoustier offre cependant à son protagoniste une alliée déterminante : Liv Von Spreckelsen (incarnée par Sidse Babett Knudsen), l’épouse de l’architecte. « Le cube, c’est l'œuvre de ma vie » répète Johan Otto Von Spreckelsen à plusieurs reprises dans le film. Il est pourtant loin de se douter que le chantier colossal qui l’attend pourrait bien ensevelir ses illusions.
Une reconstitution minutieuse
À l’image des défis auxquels son protagoniste est confronté, le long-métrage relève plusieurs enjeux de taille. L’Inconnu de la Grande Arche nous plonge dans une reconstitution minutieuse du Paris des années 1980, tant sur le plan historique que visuel. Un travail impressionnant a été réalisé avec Lise Fischer, superviseuse VFX et David Chambille, chef opérateur sur plus d’une centaine de plans. Les effets visuels ont notamment été utilisés pour intégrer les acteurs à des images d’archives animées. Stéphane Demoustier nous offre aussi, une fois de plus, une mise en scène impeccable qui donne lieu à des images qui marquent les esprits, comme la scène où Johan Otto Von Spreckelsen et François Mitterrand vérifient l’axe du cube avant sa construction, au beau milieu des Champs-Élysées.
Le chantier de la Grande Arche a été le premier chantier français à utiliser une assistance informatique pour réaliser les calculs les plus complexes nécessaires à la construction. Au-delà de sa crédibilité historique, L’Inconnu de la Grande Arche présente également une réflexion très actuelle sur la relation entre création et technologie et plus largement entre ancien et nouveau. Stéphane Demoustier a d’ailleurs déclaré dans un entretien publié dans le dossier de presse du film : « Spreckelsen insiste sur l’importance de sa vision et sur une crainte : il a peur que les machines ne formatent la pensée. En disant cela, il est visionnaire. ». Entre combat intime et jeux de pouvoir, L’Inconnu de la Grande Arche est une œuvre riche, qui nous encourage à suivre avec encore plus de curiosité, le parcours de son cinéaste.