Corps à cœurs

De danseur étoile du New York City Ballet à directeur du ballet de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied est devenu une icône de la danse en France et à l’international. Chorégraphe du sombre Black Swan (Darren Aronofsky, 2010) et de l’ingénieuse marche du désert de Dune (Denis Villeneuve, 2021), sa danse a souvent sublimé le cinéma. Aujourd’hui, c’est en tant que réalisateur qu’il exprime sa vision de la danse en s’inspirant de Carmen, une œuvre qui a bercé son enfance. Nouvelle, opéra-comique, ballet ou longs-métrages : le destin tragique et passionnel de Carmen a marqué la culture populaire à travers les siècles. Sans se contenter de moderniser l'œuvre originale, Benjamin Millepied la réinvente en célébrant une passion qui élève l’âme, au détriment d’une passion qui la condamne. 

Dans ce film pensé comme un ballet, Benjamin Millepied nous offre de merveilleux moments dansés qui concentrent toutes les émotions du film. On regrette presque que ces chorégraphies intenses soient entrecoupées de dialogues. Dans Carmen, les mots peinent à faire le poids face aux pas intimidants du flamenco et aux mouvements majestueux de la danse contemporaine. Si l’histoire d’amour façon road movie de Carmen (Mélissa Barrera) et Aidan (Paul Mescal) gagnerait à être plus flamboyante, le premier film de Benjamin Millepied est empli d’un lyrisme fascinant.

Loin de la femme fatale

Là où l’oeuvre originale malmenait Carmen, la présentant comme une femme fatale, l’héroïne de Benjamin Millepied est libre, puissante et humaine. L’amour qui conduit Carmen à sa perte dans la nouvelle de Prosper Mérimée est relayé au second plan par le cinéaste. Elle n’est plus réduite à un objet de désir, ni à « l’oiseau rebelle » de l’opéra de Georges Bizet. Dans le long-métrage de Benjamin Millepied, Carmen est une femme qui brave tous les obstacles à sa liberté, pour embrasser son destin. 

Lorsque sa mère est assassinée dans une scène d’ouverture très réussie qui représente le flamenco comme l’une des armes d’un duel impitoyable, la jeune femme fuit le Mexique et tente de traverser la frontière pour rejoindre Los Angeles. Dans ce périple dangereux, elle est aidée par Aidan, un ex-marine en cavale. L’arc narratif de Carmen puise sa source dans un récit très classique qui n’explore malheureusement pas la profondeur de ses personnages, notamment l’homme incarné par Paul Mescal. Pourtant, le film offre une représentation vibrante de la danse, en tant que pouvoir inestimable. Dans Carmen, la danse est à la fois la destinée salvatrice et la puissance de l’héroïne interprétée par Mélissa Barrera, mais aussi le symbole d’un héritage mystique révélé à travers le personnage de Masilda (Rossy de Palma). 

S’il se heurte à quelques écueils narratifs, Benjamin Millepied propose tout de même une Carmen fascinante, radicalement différente de l'œuvre originale. Dans ce premier long-métrage, il sublime la danse, le langage qu’il maîtrise le mieux à la scène comme à l’écran, dans tout ce qu’elle a de sensuel et mystique.
 

Marie Serale | @marie_serale

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