ÉPISODE 16 – Le bruit des sabres laser de La Guerre des étoiles

Date de publication : 26.12.22

En collaboration avec le magazine Troiscouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. On évoque cette fois une scène centrale du tout premier opus de la saga Star Wars à être sorti en salles. Cette séquence met à l’honneur l’un des membres centraux de l’équipe réunie par George Lucas : le créateur des bruitages, Ben Burtt.

 

Par Julien Dupuy 

Si loin, si proche

L’une des clés de la réussite de La Guerre des étoiles réside dans la faculté de George Lucas à rendre ses univers extraterrestres très… terriens ! De l’usure des véhicules, au comportement de ses héros, ces films sont parvenus à créer une proximité avec ses spectateurs, là où les films de science-fiction passés favorisaient un contexte et des référents radicalement distants du public. 

Un membre de l’équipe de la saga a énormément contribué sur ce point : Ben Burtt. En charge de la création sonore de toute cette galaxie lointaine, très lointaine, Burtt a toujours eu à cœur d’insuffler dans son travail des évocations familières du public. C’est le cas du son qu’émettent les extra-terrestres : ainsi, des cris d’ours et de lion sont employés pour Chewbacca, l’acolyte poilu de Han Solo. 

Mais c’est aussi le cas pour d’innombrables véhicules de la saga. Un exemple éloquent de sa méthodologie de travail réside dans le bruitage du vol des chasseurs Tie, les vaisseaux spatiaux de combat de l’Empire : le hurlement qu’ils produisent mélange en réalité une  voiture filant à toute vitesse sur une route mouillée et un barrissement d’éléphant. À la fois étrange et familier, ce bruitage se distingue des sonorités jadis associées aux véhicules spatiaux de science-fiction, qui faisaient un usage abondant de synthétiseurs ou d’instruments étranges, comme le thérémine.
 

Vrombissement

Nous sommes en 1975 et Ben Burtt vient d’être embauché par George Lucas pour La Guerre des étoiles. Il n’a, à l’époque, contribué qu’à un seul long-métrage : le film culte La Course à la mort de l’an 2000. Pour le space opera de Lucas, Burtt doit créer ex nihilo une banque sonore conséquente, pour tout ce que l’équipe du film s’échine à porter à l’écran.
Faute d’avoir accès aux plans truqués définitifs, il débute son travail en se basant sur le seul matériel visuel alors disponible : les peintures conceptuelles signées Ralph McQuarrie. Un élément l’intrigue particulièrement : les sabres laser que brandissent les personnages. Ce sera donc le premier son créé sur La Guerre des étoiles, ce qui est symboliquement lourd de sens. 

Alors installé dans la cave de sa maison (selon lui, une oreille affutée pourrait percevoir des bruits de pas et de vaisselle dans la bande son du film !), Burtt se replonge dans ses souvenirs, pour y dénicher une solution adéquate. Une image lui vient alors en tête : celle des vieux projecteurs Simplex 35mm de l’école USC dont il avait la charge lorsqu’il était étudiant. 

Certains moteurs de ces machines produisaient une vibration continue. Burtt s’en sert comme base, mais cherche un complément qui pourrait épicer cette première couche. La solution arrive par un complet hasard. Alors qu’il capte des sons dans une pièce, son micro frôle un téléviseur allumé. Or, le bourdonnement produit par le tube cathodique vient enrichir à la perfection le ronflement des moteurs des projecteurs.

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Crépitements

À ce stade, Burtt n’a fait que la moitié du chemin : car les épées laser sont constamment en mouvement et les Jedis sont amenés à croiser leurs « lames ». Quand les armes s’entrechoquent, Burtt mixe les craquements émis par la pression de pièces de métal sur de la neige carbonique, avec les crépitements produits par l’allumage d’une vieille lampe à arcs carbones. 

Le mouvement des sabres lui pose plus de soucis : il finit par résoudre ce problème en diffusant le mixe du vrombissement sur de puissantes enceintes. Burtt réenregistre ce son avec un micro directionnel qu’il agite en mimant le déplacement des sabres à l’écran. 

Ainsi projeté dans l’espace et capté à des distances et des vitesses différentes, le vrombissement change de tonalité et de puissance naturellement, conférant un caractère foncièrement concret aux armes emblématiques de la saga Star Wars.

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Ronronnements

Avec seulement 15% du son enregistré sur le plateau exploité sur la bande son, La Guerre des étoiles doit énormément à Ben Burtt qui va, avec ce film, révolutionner la façon d’appréhender la conception du son au cinéma. 

Le rôle inédit qu’il endosse va même créer un tout nouveau poste, celui de « sound designer », que l’on pourrait traduire par « concepteur sonore ». Son travail influence une toute nouvelle génération d’artistes, à commencer par David Acord qui prend sa suite sur la nouvelle trilogie. 

Conscient que la source sonore la plus incongrue peut créer le bruitage le plus puissant, Acord s’inspire de Burtt quand il s’agit de concevoir le son qui accompagne la manipulation de la Force par le nouveau grand méchant de ces films, Kylo Ren. 

Après maintes recherches, Acord enregistre son chat en train de… ronronner ! Décidément, la saga Star Wars réserve encore bien des surprises.