Eternal Daughter, les fantômes de Joanna Hogg
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Il aura fallu attendre 2022 pour que le public français découvre le cinéma de Joanna Hogg, avec le diptyque The Souvenir. Aujourd'hui, le Centre Pompidou consacre une rétrospective à la cinéaste britannique, à l'occasion de la sortie inédite de ses trois premiers long-métrages dans les cinémas français et de la sortie en salles de son nouveau et remarquable film Eternal Daughter. Ce conte gothique à la beauté sombre et mélancolique met en scène une histoire intime de fantômes.
Audacieuse simplicité
Il y a, chez Joanna Hogg, un rapport particulier au souvenir et à l'intime. Si elle ouvre la boîte noire de sa mémoire pour penser ses films, elle y ajoute ce qu'il faut d'intuition et d’ambiance pour nous plonger dans un univers qui lui est propre. L’ensemble de son œuvre aborde des sujets introspectifs comme les relations humaines et familiales, l’amour, la création ou encore le rapport au temps. Tant d’éléments maintes fois portés à l’écran par de multiples cinéastes, que Joanna Hogg met en scène de manière magistrale.
Eternal Daughter est son premier film teinté de surnaturel. On y suit Julie, cinéaste en proie au manque d’inspiration venue passer des vacances avec sa mère âgée dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. Alors que sa mère se remémore de lointains souvenirs dans cet endroit qu’elle a fréquenté dans sa jeunesse, Julie décèle rapidement une atmosphère étrange. Le film s’ouvre au crépuscule, sur une route brumeuse en pleine forêt, et déjà, on peut déceler la dimension de songe. Estompant la frontière entre le visible et l’invisible, l’étrange et l’ordinaire, le rêve et le souvenir, Eternal Daughter est mis en scène comme un moment hors du temps, sans artifices horrifiques, puisque dans l’histoire, l’angoisse et le mystère sont régis par l’esprit et le souvenir.
Double je
Tilda Swinton interprète à la fois le rôle de Julie et celui de sa mère, Rosalind. Amie de longue date de la cinéaste, elle est aussi son actrice fétiche. Joanna Hogg avait déjà dirigé Tilda Swinton dans son court-métrage de fin d’études, Caprice (1986) mais aussi dans The Souvenir, aux côtés de la fille de l’actrice, Honor Swinton Byrne.
Le traitement de la thématique du double au cinéma donne souvent lieu à des effets spéciaux ou des jeux de mise en scène. Dans Eternal Daughter, Joanna Hogg laisse place à un classique mais habile jeu de champ-contrechamp, filmant Tilda Swinton tour à tour dans chacun de ses rôles, comme un portrait. Sous cette simplicité se cache une prouesse d’interprétation, puisque l’actrice improvise tout au long du film.
Le film tout entier est donc bâti autour de la notion de dualité. D’abord, la dualité mère-fille, avec la mise en scène d’une relation très particulière qui convoque l’amour et la culpabilité. Le titre Eternal Daughter, renvoie à cette femme, Julie, qui semble si attachée à son rôle de fille, qu’elle en presque prisonnière. On apprend notamment qu’elle n’a pas eu d’enfants et qu’elle s’en sent coupable, vis-à-vis de sa mère. D’autre part, c’est cette même notion de dualité qui insuffle une atmosphère étrange et surnaturelle au film. Si l’époque est contemporaine, le comportement des deux personnages joués par Tilda Swinton semble être d’un autre temps. Énigmatique et fascinante, l’actrice est tout simplement grandiose et apporte énormément à l’ambiance du film.
Les fantômes qui vivent en nous
Si Eternal Daughter s’inspire de sa propre relation avec sa mère, Joanna Hogg en a fait un film de fantômes pour prendre du recul sur sa propre histoire et s’en libérer. Et ce qui fait la beauté et la poésie du film, c’est son équilibre entre ténèbres et lumière. Les fantômes y évoquent aussi bien les peurs, les regrets, la culpabilité et le deuil que nous pouvons, de manière universelle, éprouver et traverser, que l’acceptation, la rédemption et même l’inspiration.
L’histoire de Julie est finalement un chemin labyrinthique à travers le deuil. Au début du film, elle semble être sous l’emprise du sortilège de sa mère qui l’infantilise, puis elle apprend peu à peu à la comprendre en tant que personne, au-delà de son statut maternel. En mettant en scène ses propres peurs et obsessions, Joanna Hogg nous renvoie finalement à ce qui hante bon nombre d’entre nous : nos relations avec nos proches et la perception que nous en avons. Véritable bijou d’esthétisme, de mise en scène et d’interprétation, Eternal Daughter réveille avec finesse les fantômes qui sommeillent en nous.
Marie Serale | @marie_serale
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