Sirāt : danser au bord du monde

© Pyramide Films

Date de publication : 10.09.25

Depuis sa présentation en compétition au 78e Festival de Cannes où il a reçu le Prix du Jury, Sirāt, le quatrième long-métrage d’Óliver Laxe déchaîne les passions. Il faut dire qu’il s’agit d’une œuvre qu’il est difficile d’oublier tant elle nous confronte avec force à quelque chose qui imprègne notre société : la peur de la mort. Dans Sirāt, Óliver Laxe nous transporte au cœur d’une rave en plein désert, au milieu d’un pont entre l’Enfer et le Paradis, le temps d’un voyage sans retour.

Transe désertique

La poussière qui vole, la musique de Kangding Ray qui résonne, la foule de gens qui dansent : nous sommes au milieu d’un désert qui n’est pas nommé, où une fête sans fin bat son plein. Sirāt a des airs de films post-apocalyptiques, mais son chaos ressemble aussi à notre époque. On comprend très rapidement que la temporalité restera floue dans cette fable hypnotique. Au milieu du ballet déstructuré des corps qui dansent, Luis (Sergi López) cherche désespérément sa fille disparue. Accompagné de son jeune fils Estéban (Bruno Núñez Arjona) et de leur chien, il sillonne la foule et interpelle les raveurs, avide d’indices. Comme ce protagoniste, nous sommes contraints de nous laisser guider par la musique sourde, puissante, entêtante, à travers ce monde poussiéreux. Seuls quelques éléments révélés au cours du récit ébauchent son contexte : alors que la radio laisse entendre que la guerre est tout près, des raveurs indiquent au protagoniste qu’ils comptent se diriger vers une autre fête située au sud, près de la Mauritanie.

Óliver Laxe nous plonge dans une atmosphère étrange, une transe à la fois mystique, libératrice et dangereuse. Avec ce film, le cinéaste ouvre la porte à des peurs et à des réflexions aussi redoutables qu’inévitables. Lorsqu’un groupe de personnages se détache de la foule, constituant une sorte de famille de fortune, on perçoit peu à peu le danger imminent, sans réussir à le nommer. La menace est-elle nichée au cœur du groupe ou vient-elle de l’extérieur ? La tension est palpable, tout peut basculer d’une minute à l’autre. Malgré toutes nos spéculations, rien ne nous prépare au choc qui va suivre.  

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Une ultime traversée

Il est difficile de parler de Sirāt sans trop en dire. Dans l’Islam, le Sirāt est un pont qui relie l’enfer et le paradis. Le sens courant du mot sirāt peut se traduire en français par les mots « chemin » ou « voie ». Ainsi, on peut présenter le film d’Óliver Laxe comme un voyage radical, une traversée vers l’absolu. En précipitant ses protagonistes vers le purgatoire, le cinéaste tend un miroir à une société thanatophobe. Il s’intéresse aux expériences qui nous changent à jamais et observe l’humanité au bord du vide.

Le film provoque en nous un trop-plein d’émotions extrêmes qui mûrissent différemment en chacun. Une fois la violence du choc passée, on peut entrevoir, au milieu des ténèbres, une absurdité déroutante, voire même une dimension comique. Sirāt est bel est bien un voyage, non seulement dans un univers si immersif qu’il nous fait oublier que nous sommes dans un fauteuil de cinéma, mais aussi un voyage intérieur, une méditation, dont on revient changé. 

 

Marie Serale | @marie_srl

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