Toxic : anatomie d’une adolescence
Filmer les corps, entre émancipation et prison
Dès ses premières images, Toxic nous plonge au cœur d’un milieu hostile : dans les vestiaires d’une piscine publique, un groupe de jeunes filles se moquent ouvertement de Marija, après lui avoir volé son jean. Lorsque la caméra recule au fond d’un casier que Marija ouvre pour chercher son pantalon, elle donne l’illusion d’un long tunnel. S’agit-il d’une issue ou, au contraire, d'un piège ? Quoi qu’il en soit, le ton est donné : Toxic dépeint, avec un réalisme cruel, l’adolescence comme une lutte. D’abord ennemies, Marija et Kristina (Vesta Matulytė et Ieva Rupeikaitė), les deux héroïnes du film, fréquentent ensemble une école de mannequinat locale où on leur promet monts et merveilles. Prêtes à tout pour échapper à leur quotidien morose, dans une ville délabrée qui n’est jamais nommée, les deux jeunes filles se livrent à une quête obsessionnelle, dangereuse et vaine : celle de la perfection.
Toxic donne à voir des adolescentes livrées à elles-mêmes qui rêvent d’une vie meilleure, différente de celle de leurs aînés. Les adultes du film sont abîmés, absents ou en totale déconnexion avec leurs enfants. Quant aux héroïnes, elles ont à peine quitté l’enfance et s’infligent déjà toutes sortes de maltraitances physiques pour ressembler à l’idéal qu’on leur dicte. Sans jamais faire du trash une esthétique, Saulė Bliuvaitė explore les conséquences désastreuses de l'obsession pour l’image à travers les mésaventures de ses personnages. D’autre part, comme pour marquer le contraste avec les exigences rigides du monde du mannequinat, la cinéaste construit des personnages qui se distinguent par leurs différences. Marija vit avec un handicap, Kristina se confronte à une image déformée de son propre corps, certains des adolescents de leur quartier paraissent plus âgés ou plus jeunes qu’ils ne le sont vraiment… Toxic s’intéresse ainsi à des jeunes qui vont tout tenter pour quitter un environnement qui les étouffe, un endroit où ils n’ont aucune perspective d’avenir, même si cela implique de retrouver une autre forme de prison.
Sous l’armure de l’amitié
Ce n’est pas le fantasme d’une vie glamour qui anime les héroïnes de Toxic, mais plutôt un besoin vital de fuir leur condition. Du haut de leurs treize ans, elles mènent désespérément leur combat, bercées d’illusions. En filmant ses personnages à distance, en plans fixes, dans des décors délabrés et des lieux abandonnés, Saulė Bliuvaitė signe une mise en scène impressionnante de maîtrise, qui laisse peu de place à l’espoir. Pourtant, au milieu de cet enfer, Marija et Kristina sont ensemble. Quand tout dans leur vie les intoxique, elles semblent retrouver une bouffée d’air grâce au lien qui les unit. Elles partagent tout, du malheur à la souffrance et chacune des épreuves qu’elles pensent devoir traverser pour accéder à une vie meilleure.
Sans concessions, ni stéréotypes, Toxic met en lumière les injonctions qui pèsent sur les femmes dès leur plus jeune âge. Loin des teen movies édulcorés, c’est un film âpre, qui aborde aussi la transition complexe qu’implique l’adolescence, d’autant plus lorsqu’on grandit dans un milieu sans repères et violent. Au cœur de ce tunnel sombre, il ne reste qu'une fragile lueur d’espoir, une infime consolation : Marija et Kristina ne sont pas seules.
Marie Serale | @marie_srl