Bergers : transhumance poétique
Vivre de philosophie et d’herbe fraîche
Bergers est l’adaptation du roman autobiographique D’où viens-tu, berger ? de Mathyas Lefebure, qui a également coécrit le scénario du film avec la réalisatrice Sophie Deraspe. Les premières images nous plongent au cœur de la Provence, à Arles. Mathyas (Félix-Antoine Duval) y enregistre un message vocal, à destination de son employeur, de ses proches, de ceux qu’il a laissés derrière lui : « Je ne vais pas rentrer ». Sur un coup de tête, il a quitté Montréal et l’agence de publicité dans laquelle il passait ses journées à rédiger des slogans, pour découvrir « le berceau du pastoralisme ». Au départ, il se projette dans sa nouvelle vie comme s’il se glissait dans la peau d’un personnage : animé par un désir d’écriture, il se documente sur le métier de berger à travers des livres et il se procure quelques accessoires, comme un chapeau, une besace ou un petit couteau. Le titre de berger ne s'acquiert pas en lisant, ni en enfilant un costume, Mathyas en est bien conscient. Les éleveurs du coin le lui confirment : pour être un bon berger, il faut bien de la passion, mais surtout des compétences.
Récit d’apprentissage en pleine nature, Bergers dépeint aussi une véritable métamorphose intérieure. C’est l’histoire d’un homme qui, à force de persévérance et de philosophie, parvient à vivre au rythme de la nature. De la désillusion à la peur, de la tendresse à l’émerveillement, Mathyas évolue silencieusement, au fur et à mesure du voyage. Si plusieurs rencontres balisent son parcours pastoral, l’une d’elles est décisive. Élise (Solène Rigot), une jeune fonctionnaire, elle aussi en quête de sens, ne tarde pas à le rejoindre pour partir en transhumance. Avec son scénario teinté d’humour et de poésie, l’image chaleureuse de Vincent Gonneville et la musique envoûtante de Philippe Brault, Bergers est un récit immersif. Pourtant, au-delà de son air de fable et de son charme indéniable, le long-métrage fait aussi la part belle à la réalité.
Une aventure sensorielle et lucide
L’authenticité et l’humilité qui émanent du long-métrage s’expliquent non seulement par l’origine intime de son histoire, mais aussi par la singularité des conditions de tournage. Un tel projet, tourné dans des décors naturels, impliquait de nombreux défis à relever, notamment en ce qui concerne la continuité visuelle, l'adaptation aux contraintes météo et bien sûr, aux besoins des animaux. Sophie Deraspe et son équipe ont travaillé avec six troupeaux différents et leurs bergers pour l’ensemble du film. Ainsi, Bergers offre une expérience aussi généreuse que sensorielle. De l’émotion véritable de Félix-Antoine Duval suite à la naissance d’un agneau, à l’amour pudique et sensuel que développent peu à peu Mathyas et Élise, la mise en scène du film semble avoir évolué en harmonie avec son décor.
D’autre part, comme l’évoque son titre concis et pluriel, Bergers s’intéresse aussi au sens du métier et à ses défis. À travers son parcours, Mathyas découvre un milieu parfois violent, écrasé par le capitalisme et des problématiques comme la solitude ou encore la menace du loup. Au fur et à mesure de son ascension dans les alpages, il apprend cependant bien plus qu’un métier difficile. En quittant son mode de vie contemporain pour approcher une culture ancestrale, en devenant berger, il change sa manière d’être au monde. Il apprend à mener une vie nomade et imprévisible, à prendre le temps, à respecter ce qui l’entoure. Ainsi, à la manière d’un conte philosophique, entre humour et lucidité, Bergers nous invite à ralentir, à rêver et à nous interroger.
Marie Serale | @marie_srl