Aimer Perdre : l’art de la débrouille
Rater avec panache
Le fil narratif d’Aimer Perdre peut être déroulé en une phrase : endettée jusqu’au cou et sans emploi, Armande Pigeon (l’excellente Maria Cavalier-Bazan) erre au gré de plans absurdes et de rencontres douteuses. Pourtant, ni le film, ni son héroïne ne tournent en rond. Avec Aimer Perdre, Harpo et Lenny Guit nous invitent à découvrir leur terrain de jeu. Tels des enfants terribles, ils déambulent dans les rues de Bruxelles et mettent en images leurs mille et une idées farfelues. Les frères Guit parviennent ainsi à nous faire vivre intensément les aventures les plus loufoques : la poésie ridicule d’un entraînement d’aéromodélisme, la crasse mémorable d’une scène aux toilettes ou encore la haute trahison que constitue le vol d’un camembert.
À l’heure de la guerre de l’attention et de la tendance grandissante du développement personnel, les cinéastes signent un film survolté sur l’échec. Avec son énergie frénétique et sa forme déstructurée, Aimer Perdre ne nous laisse aucun répit. Le film est une farce aussi addictive que pénible, qui s’étire et rebondit sans cesse, provoquant la surprise et l’hilarité générale. Mais au-delà d’un amour pour le cringe, qui n’est pas sans rappeler les séries Nathan For You et The Office, les frères Guit proposent aussi le portrait audacieux d’une héroïne avide de vie et de jeu, défiant les normes établies.
Libre comme l’air
Armande rate tout ce qu’elle entreprend, mais elle sait ce qu’elle veut. Elle négocie et ment comme elle respire, obsédée par l’idée de gagner : peu lui importe qu’il s’agisse d’argent, de miettes ou de fruits pourris. Curieusement, le jeu semble être sa raison de vivre, tandis que l’échec devient son moteur. L’héroïne d’Aimer Perdre est emplie de contradictions qui en font un personnage aussi caricatural que profondément humain. Antipathique, joyeuse, malicieuse et attachante, Armande est libre comme l’air et n’a que faire des normes. Elle refuse la vulnérabilité qu’implique sa précarité et s’efforce de rester constamment en mouvement, comme une criminelle en cavale, comme si elle ne pouvait vivre qu’à travers le défi.
Autour d’elle, il y a des personnages tout aussi loufoques qui la poursuivent, la désirent ou la rejettent : elle est le centre de ce récit haut en couleur. Habituée à l’échec, Armande ne perd jamais le goût du jeu. Mais lorsqu’elle fait équipe avec Ronnie (Axel Perin), la chance tourne enfin et le jeu devient plus piégeux que jamais. Quand on aime perdre, il est difficile de savoir s’arrêter, mais les frères Guit offrent à Armande une parfaite conclusion : l’espoir d’une confiance retrouvée, bouleversé par le chaos qui fait le charme de cette comédie étonnante. Cocktail inventif et décapant, Aimer Perdre est un film réjouissant qui met en lumière une joyeuse bande de cinéastes et de comédiens talentueux.
Marie Serale | @marie_srl