Tu ne mentiras point : loin des lumières de Noël
Date de publication : 05.05.25
Des secrets plus sombres que le charbon
Père de cinq filles et entrepreneur dans la vente de charbon, Bill Furlong (Cillian Murphy) mène une vie modeste dans la petite ville de New Ross, en Irlande. Un jour, alors qu’il livre le couvent local, il voit une jeune fille y être enfermée de force par ses parents. Cet événement va plonger Bill dans une profonde introspection, nourrie par les souvenirs de sa propre enfance. Enceinte très jeune, sa mère a pu échapper au couvent et l’élever dans la maison de Mme Wilson, où elle travaillait en tant que domestique. Devenu orphelin, Bill a continué de grandir avec la conscience du poids de l’injustice et des effets dévastateurs du silence. Très vite, il comprend l’ampleur des mauvais traitements infligés aux pensionnaires du couvent et fait face à un dilemme moral. Doit-il, à lui seul, se confronter à cette institution influente ? Suffit-il d'être altruiste pour changer les choses ?
À travers le parcours de Bill, le long-métrage évoque l’histoire vraie des Couvents de la Madeleine, aussi appelés Magdalene Laundries. Pendant plus de deux siècles, des milliers de jeunes filles y ont été enfermées et condamnées au travail forcé dans des conditions très rudes, sous prétexte de réhabilitation morale. En Irlande, le dernier de ces couvents a fermé en 1996. Avec Tu ne mentiras point, le cinéaste belge Tim Mielants nous plonge dans une sorte d’anti-film de Noël, au cœur d’un hiver sombre et glacé. Ni les chants traditionnels, ni les lumières chaleureuses ne viennent éclairer cette page sombre de l’histoire irlandaise. Seul le point de vue d’un homme tiraillé entre son devoir de subvenir aux besoins de sa famille et sa volonté de combattre l'injustice nous guide à travers le récit.
Raconter le silence pour faire résonner les murmures
Le silence et les façons dont il peut être brisé sont des thèmes chers à Claire Keegan. On les retrouve aussi bien dans son roman Ce genre de petites choses que dans sa nouvelle Les Trois Lumières (Foster), adaptée au cinéma par Colm Bairéad avec le très beau film The Quiet Girl. Dans Tu ne mentiras point, Tim Mielants lève le voile sur des agissements inhumains passés sous silence, un silence qui ronge toute une communauté. Le long-métrage déploie son intensité à travers une mise en scène sobre et des dialogues épurés, incarnés par des acteurs et des actrices habités.
Cillian Murphy nous offre une performance remarquable, en donnant à voir la force tranquille de son personnage, fragilisée par les tourments qui le hantent. Ni son regard, ni les quelques mots qu’il prononce ne trahissent ses émotions : pourtant, lorsqu’il rentre chez lui le soir et qu’il se lave consciencieusement les mains, son trouble devient palpable. Si la tension est présente tout au long du récit, Tu ne mentiras point évolue sans éclat de voix, ni véritable climax. Le charbon, dur et froid, ne s’embrase jamais. Le long-métrage ne se conclut pas sur une révolution, mais plutôt sur un geste individuel qui changera au moins deux vies et peut-être bien plus encore. Tim Mielants signe ainsi un film qui évoque un pan méconnu de l’Histoire, à travers le parcours d’un héros ordinaire. En abordant cette omerta irlandaise, le réalisateur prouve aussi qu’au cinéma, le silence peut faire résonner les murmures.
Marie Serale | @marie_srl