Un simple accident : thriller glaçant et Palme d’or de la résistance

© Copyright Jafar Panahi - Memento Distribution

Date de publication : 30.05.25

En 2010, après avoir reçu le Prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes, Juliette Binoche appelait à la libération de Jafar Panahi, alors emprisonné en Iran. Quinze ans plus tard, l’actrice et présidente du jury a remis la Palme d’or au cinéaste iranien pour son onzième long-métrage : Un simple accident. Tourné clandestinement à Téhéran, le film met en lumière les tensions qui dévorent le pays. En partant d’une situation initiale très simple, Jafar Panahi orchestre un engrenage implacable qui questionne les notions de justice, de vengeance et d’humanité.

Immersion au cœur d’un tribunal de fortune

« C’est un simple accident. Ce qui doit arriver arrive. »
Aussi lucide que prophétique, cette phrase prononcée au début du long-métrage laisse à peine entrevoir la force du récit qui va suivre. Ce sont les mots d’une mère à sa fille, après que le père ait renversé un chien sur la route. Cet accident banal, ce choc simple, va pourtant remuer le passé et bouleverser des vies. Lorsque le père de famille et conducteur du véhicule s’arrête dans un garage pour demander de l’aide, Vahid, qui travaille dans l’atelier, le reconnaît sans même le voir. Le garagiste entend le grincement d’une prothèse de jambe sur le sol et croit instantanément reconnaître le gardien de prison qui l’a torturé dans le passé. C’est à ce moment précis que les braises du récit s’enflamment : animé par une volonté de vengeance, Vahid enlève l’homme à la prothèse et le traîne devant un tribunal de fortune constitué d’autres anciens co-détenus. Tout au long du récit, les cinq personnages sillonnent Téhéran et ses environs à bord du van de Vahid, pour tenter, d’abord, d’identifier avec certitude le tortionnaire devenu prisonnier, puis de réfléchir à leur propre idée de la justice.

Comme l’indique son titre, Un simple accident repose sur un élément déclencheur simple, dont découlent des conséquences inattendues. Jafar Panahi nous offre un film rythmé par des dialogues saisissants, incarnés par les performances théâtrales des actrices et acteurs. La mise en scène, aussi impeccable soit-elle, s’efface presque devant la force rare des mots qui résonnent encore et encore après le visionnage. Dans un savant mélange d’ironie et de tension, d’humour et de colère, le cinéaste dénonce la corruption, l’injustice et l’oppression systémique, mais questionne aussi la frontière entre victime et bourreau. 

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Filmer pour résister

Entre 2010 et 2023, le gouvernement iranien a interdit à Jafar Panahi de quitter le territoire, de réaliser des films, l’a condamné et emprisonné pour propagande contre le régime. Mais Jafar Panahi n’est pas seulement l’un des cinéastes emblématiques de la Nouvelle Vague iranienne : c’est aussi un résistant. Tout au long de son œuvre, le réalisateur a interrogé la complexité des relations sociales, la fragilité des libertés individuelles et les contradictions de la société iranienne. Ni la censure, ni les condamnations n’ont eu raison de son obstination : le cinéaste a continué à raconter et à filmer clandestinement, faisant de son art un acte de résistance. Dans Taxi Téhéran (2015), il brossait un portrait de la ville et de ses habitants en filmant les différents passagers d’un taxi. Dans Un simple accident, c’est à bord d’un van qu’il rend compte de la lutte des citoyens pour leur liberté.

À l’issue de la 78e édition du Festival de Cannes, le jury présidé par Juliette Binoche a choisi de récompenser un film important, tant par son message politique que par son ambition artistique. Dans un puissant cri de résistance, Un simple accident interroge le lien entre justice et morale, dans une société régie par l'oppression et la censure. En nous plongeant dans son récit intense jusqu’à la dernière seconde, le long-métrage rappelle aussi l’importance du cinéma comme miroir des luttes. Thriller glaçant et Palme d’or du courage, Un simple accident sortira dans les salles de cinéma françaises dès le 1er octobre 2025.

 

Marie Serale | @marie_srl

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