Sylvain Chomet, animateur et poète

©Frédéric Bourgeois/La Renaissance le Bessin
Réalisateur de films d’animation, connu dans le monde entier pour ses projets atypiques et délicieusement rétros, Sylvain Chomet revient sur nos écrans avec un biopic animé sur la vie du plus célèbre auteur marseillais, Marcel Pagnol. Avec « Marcel et Monsieur Pagnol », il signe son retour à l’animation traditionnel, avec toujours le même style typiquement français qui a fait son succès. Il s’agit donc d’une bonne occasion pour nous de revenir sur sa riche carrière, et sa patte artistique inimitable.

Du cinéma rétro :

Les Triplettes de Belleville, LES ARMASTEURS/FRANCE 3 CINEMA/RGP ©Sylvain Chomet

Sylvain Chomet est, dès son plus jeune âge, baigné dans le milieu artistique. Sa mère, artiste peintre, le pousse malgré elle vers le dessin, Chomet désirant l’imiter pour lui plaire. Après l’obtention de son baccalauréat, il intègre une école spécialisée dans la bande dessinée à Angoulême, ville célèbre pour son festival dédié au 9ème art. À l’origine, il se destine donc à devenir dessinateur de bandes dessinées, mais afin de gagner sa vie, il quitte la France pour l’Angleterre, en quête d’un emploi dans l’illustration. Malheureusement, il ne trouve pas le travail de ses rêves et doit se contenter d’un travail d’intervalliste dans un studio d’animation. C’est ainsi que, par hasard, il entre dans le milieu du cinéma et en devient un réel passionné, souhaitant définitivement y faire carrière. Lui vient alors l’idée de son premier court métrage, La vieille dame et le pigeon, alors qu’il se promène dans un parc à Londres. Il transpose le scénario de son film à Paris et y incorpore toute la nostalgie qu’il éprouvait alors pour son pays d’origine. Il débute la production en 1991, mais ne parvient à finaliser ce court métrage qu’en 1997 après de nombreuses années de galères. Ce travail acharné finit par payer puisqu’il reçoit rapidement une immense reconnaissance du milieu, avec des nominations au César du meilleur court-métrage, et même à l’international, avec une nomination aux Oscars dans la même catégorie. Il remporte même deux prix prestigieux, au festival international du film d’animation d’Annecy, ainsi que le Bafta Awards du meilleur court métrage.

Sa carrière dans le cinéma est donc définitivement lancée avec ce court métrage dans lequel on retrouve déjà ses principales caractéristiques, tant thématiques, qu’artistiques. Sylvain Chomet plonge son spectateur au cœur d’un Paris fantasmé, tout droit sorti d’une imagerie rétro de carte postale. L’humour burlesque et le comique de situation, viennent se mêler à une intrigue emprunte de poésie et de nostalgie. Comme pour ses projets suivants, il dessine lui-même, à la main, utilisant les ordinateurs uniquement pour les éléments mécaniques comme les véhicules, afin de fluidifier les mouvements en 3D. À travers ses projets, il souhaite démontrer que l’animation fait partie intégrante du cinéma et n’est pas réservée aux enfants. Il se veut un cinéaste animateur sensible dans la mouvance d’Hayao Myazaki. Il s’inspire aussi de l’humour et du ton sombre des comédies anglaises, influencé par sa longue période de vie en Grande Bretagne, notamment Black adder, Fawlty Towers, et la version britannique de la série The office. On retrouve également une filiation évidente avec les comédies burlesques des années 1920 et 1930, comme les films de Charlie Chaplin, Laurel et Hardy, ou encore Buster Keaton. Il conserve donc une imagerie et un ton résolument universels puisque ne s’appuyant pas sur des dialogues mais plus sur l’image et les situations proposées. 

C’est avec ces mêmes intentions qu’il se lance dans son premier long métrage, Les triplettes de Belleville. Sylvain Chomet y raconte l’histoire de Champion, un garçon orphelin élevé par sa grand-mère, prête à tout pour lui redonner le sourire. La vieille dame finira par toucher son petit-fils grâce au cyclisme. Champion deviendra un coureur vaillant. Malheureusement il se fera enlever durant le Tour de France par la mafia. Sa grand-mère se lance alors dans une course poursuite au-delà de l’océan Atlantique et sera aidée par trois vieilles gloires du music-hall, les triplettes de Belleville. On retrouve une nouvelle fois un charme désuet, tout droit sorti des années 1950. Le film est presque toujours muet, et repose sur un humour ravageur et baroque. L’animation est une véritable orgie de gags visuels et situationnels. Sylvain Chomet, n’hésite pas à repousser les limites de son art, sans toutefois perdre son spectateur. Le film est un succès critique et public dans le monde entier. Le réalisateur est nommé une nouvelle fois aux Oscars dans la catégorie meilleur film d’animation, et aux Césars dans trois catégories, meilleur film, meilleur premier film et meilleure bande originale en 2004. 
Après ce succès retentissant, Sylvain Chomet est contacté pour participer à un film collaboratif autour de Paris, Paris je t’aime. Son court-métrage présente un petit garçon au cartable démesuré qui raconte l’histoire de la rencontre de ses parents, deux mimes. Il devait initialement s’agir d’un dessin animé, mais le réalisateur dû abandonner le projet faute de budget. Il signe donc sa première réalisation en prise de vue réelle. On retrouve tout de même une imagerie et une poésie semblable à celle d’une bande dessinée et proche de ses productions précédentes. 
Pour son film suivant, il retourne à l’animation avec un scripte écrit par Jacques Tati sous le titre provisoire « Film Jacques Tati numéro 4 » mais que le grand réalisateur n’avait jamais pu tourner. L’illusionniste est un film désespéré ancré à la toute fin des années 1950. Jacques Tati y racontait la disparition du music-hall à travers le personnage d’un vieux magicien, remplacé peu à peu par le Rock’n roll, une période que le metteur en scène avait lui-même vécue lorsqu’il jouait des numéros humoristiques dans les cabarets parisiens. Le scénario original était même plus sombre encore, mais Chomet décide d’adoucir le ton tragique en y ajoutant un peu d’humour, notamment en créant un personnage de clown suicidaire.
L’illusionniste du film, sous les traits de Tati lui-même, va s’exiler en Écosse afin de retrouver le feu sacré et sa passion pour la magie. 
Sylvain Chomet réalise d’ailleurs intégralement le film à Édimbourg afin de s’inspirer directement des paysages écossais du scénario. La difficulté du projet pour Chomet étant d’illustrer la simplicité du scripte, sans jamais trop en faire, et d’éviter le côté trop baroque des Triplettes. Ainsi, il décide de faire peu de plans, environ 400, de les rendre plus longs, en caméra fixe, afin de privilégier un rythme moins soutenu et plus large, pour laisser le film respirer. Avec L’illusionniste, Sylvain Chomet signe un nouveau film nostalgique, tendre et poétique et remporte même le tout premier César du meilleur film d’animation de l’histoire en 2011.
 

"Attila Marcel". PATHÉ DISTRIBUTION/ÉTIENNE GEORGE

Au cinéma dans le rétro :

Après cette période faste dans l’animation, le réalisateur décide de se consacrer à un cinéma plus traditionnel, à la suite de sa rencontre avec Claudie Ossard, célèbre productrice de la plupart des films de Jean-Pierre Jeunet, lorsqu’il travaillait sur son segment de Paris je t’aime. Cette dernière le pousse à travailler sur un film en prise de vue réelle. 
Chomet, comme il l’a démontré durant sa carrière dans l’animation, aime particulièrement les films qui parlent de cinéma, les films référentiels et nostalgiques. Il cite notamment beaucoup Ed Wood de Tim Burton. C’est avec cet état d’esprit qu’il se lance dans l’écriture et la réalisation d’Attila Marcel, son premier projet en prise de vue réelle. Le metteur en scène conserve toutefois les ingrédients forts de sa recette employés dans ses films d’animation. On retrouve toujours un univers décalé, où de vieilles dames particulièrement sages et attentives ont un rôle prédominent dans l’histoire du film. Ainsi pour la conception du personnage de Madame Proust, il se remémore un souvenir d’enfance qui l’a particulièrement marqué. Une vieille dame de son immeuble, vivait entourée d’objets qui évoquaient pour elle ses souvenirs. Enfant il était effrayé par cet appartement encombré emplit de « mémoire ». Dans le film, Paul, le personnage principal, pianiste muet à la suite d’un traumatisme, cherche à retrouver ses souvenirs auprès de ce personnage haut en couleur. Ce chemin vers ses souvenirs va lui permettre de mieux appréhender sa vie et enfin dépasser ses blessures d’enfance.
Dans une scène d’Attila Marcel, il vient citer directement une célèbre séquence de Saturday night fever, où le personnage principal marche dans la rue, fier de lui, mais Chomet casse presque immédiatement la référence en y incorporant de l’humour.
Attila Marcel, lui permet également de découvrir pour la première fois le montage, une pratique inutile dans le cinéma d’animation. Finalement, le film ne reçoit pas le même accueil que les films précédents du réalisateur, il s’inscrit malgré tout parfaitement dans sa filmographie.
 

“The Simpsons” Couch Gag by Sylvain Chomet, FOX

Après ce long métrage classique, il est engagé dans différents projets prestigieux, preuve du statut indiscutable acquis par Sylvain Chomet au fil du temps. Ainsi il se lance dans la réalisation d’un « gag du canapé », pour la plus célèbre des séries d’animation, Les Simpson
Il transpose la famille en France, et les métamorphose avec son style inimitable. On retrouve également dans cette pastille, sa passion pour une direction artistique rétro et décalée. Homer s’empiffre d’escargots, Bart s’essaye au gavage d’oie, tandis que Lisa troque son saxophone pour un accordéon bien franchouillard.
On retrouve ensuite le réalisateur à la mise en scène d’un clip du chanteur belge Stromae, pour sa chanson Carmen. Chomet avait auparavant travaillé sur le clip de la chanson titre de son film Les triplettes de Belleville, interprété par M, mais il restait dans le terrain balisé par le long métrage original. Cette fois, il s’insère parfaitement dans l’univers de Stromae en dessinant le chanteur soumit à l’oiseau bleu de twitter. On voit le terrible volatile grossir au fur et à mesure de la popularité gagnée par Stromae. L’oiseau devient finalement monstrueux et engouffre littéralement tous ceux qui ont eu le malheur de se laisser piéger. Il s’agit évidement d’une critique acerbe des réseaux sociaux qui vient parfaitement illustrer une chanson dans la même veine.
Sylvain Chomet se lance également dans la mise en scène d’une comédie musicale dans l’univers des Triplettes de Belleville, Les Triplettes de Belleville dans Go Ouest en 2014, prouvant définitivement son statut d’artiste complet. 
Cette période gratifiante est également marquée par la pastille introductive réalisée pour le blockbuster Joker : Folie à deux, en 2024. Chomet abandonne pour l’occasion son style très français, pour faire un pastiche des dessins animés de Tex Avery. Dans ce petit segment, il résume parfaitement la dualité du personnage du Joker, aux prises avec son ombre meurtrière.
 

© 2025 What the Prod -Mediawan Kids & Family Cinéma -Bidibul Productions - Walking the Dog

Enfin, il revient finalement sur nos écrans en 2025, avec le film d’animation Marcel et Monsieur Pagnol. Le projet est né quand, il y’a neuf ans, Sylvain Chomet est contacté par la famille Pagnol pour réaliser un documentaire sur Marcel. Il devait y insérer de courtes séquences d’animations afin d’illustrer certaines images d’archive. Les séquences préparatoires proposées par Chomet plaisent tellement, qu’elles sont ensuite présentées à des investisseurs en vue de réaliser un long métrage dans ce style. Marcel et Monsieur Pagnol est lancé et devient de fait le premier film d’animation parlant du réalisateur. Le défi a donc été de proposer un long métrage qui reprendrait le verbiage et le sens du dialogue de Pagnol. Il s’agissait aussi pour Sylvain Chomet, de créer un pont entre Marcel Pagnol et la modernité, d’où l’idée de confier au rappeur SCH, la chanson titre du film. 
Pour Marcel et Monsieur Pagnol, le réalisateur va légèrement modifier sa méthode de travail en tournant d’abord des séquences avec des acteurs en costumes d’époque qu’il va ensuite redessiner et animer à la main. 
Il a pu visiter des lieux emblématiques de la vie de Marcel Pagnol comme sa maison de Paris, où son bureau avait été conservé en l’état depuis 1974 par sa femme Jacqueline.
Malheureusement les studios Paramount de Saint Maurice, ainsi que les studios Marcel Pagnol à Marseille ayant aujourd’hui disparu il a dû largement improviser afin de les recréer.
Nicolas Pagnol, le petit fils de l’illustre réalisateur marseillais, aide énormément Chomet sur le film, notamment avec des documents inédits, ainsi qu’avec des anecdotes familiales.
Marcel et Monsieur Pagnol est également le premier film de Sylvain Chomet où il utilise une tablette pour dessiner. Il a tout de même gardé une direction artistique proche de la BD franco-belge avec un trait visible à l’écran comme s’il s’agissait véritablement de dessins mouvants. Le long métrage est encore une fois une réussite, qui arrive parfaitement à capter l’esprit de Marcel Pagnol.
 

Comme il le dit souvent dans différentes interviews, Sylvain Chomet, malgré la sensibilité évidente de ses différents films, a une vraie peur du pathos et d’en faire trop dans la poésie ou l’émotion, c’est pourquoi il s’appuie souvent sur l’humour afin de désamorcer des scènes qui seraient susceptibles d’aller trop loin. Il apprécie particulièrement de perdre les spectateurs et de les mener sur des chemins auxquels ils ne s’attendent pas. Il se considère comme un artiste, ainsi, tout ce qu’il fait n’est pas orienté vers le profit, mais la joie de faire des projets dont il serait fier, et toucher le cœur des gens. En cela, Sylvain Chomet se rapproche parfaitement du sujet de son dernier film. Comme Marcel Pagnol, l’animateur a su conserver un esprit artistique sans compromission, mais surtout préserver son âme d’enfant.

 

 

Raphaël BLEINES-FERRARI

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