Liam Neeson, la passion et la rage

Y a-t-il un flic pour sauver le monde ?
Y’a-t-il un flic pour sauver le monde ? Akiva Schaffer ©PARAMOUNT PICTURES

Date de publication : 04.09.25

Liam Neeson est ce qu’on pourrait appeler un acteur culte. Culte, car dès l’apparition de son visage à l’écran reviennent dans nos mémoires des rôles marquants qui ont jalonnés la riche carrière de cet acteur pas comme les autres. Homme de théâtre habitué des rôles dramatiques, il a travaillé avec les plus grands réalisateurs du XXIème siècle. Pourtant à la fin des années 2000, sa carrière a pris un tournant inattendu, transformant son image à jamais. Il se cantonne alors aux films d’action dans des rôles d’hommes forts, ivres de vengeance. C’est précisément de cette image dont cherche à se moquer son tout nouveau film Y’a-t-il un flic pour sauver le monde ?, reboot de la célèbre franchise comique des années 1990. C’est donc le parfait moment pour revenir sur la carrière longue, et fructueuse de cet acteur iconique.

Un acteur qui a la foi :

Steven Spielberg, Ben Kingsley, et Liam Neeson sur le tournage de La liste de Schindler
Steven Spielberg, Ben Kingsley, et Liam Neeson sur le tournage de La liste de Schindler ©UNIVERSAl/EVERETT COLLECTION

Liam Neeson est né dans un milieu populaire en Irlande du Nord, dans la ville de Ballymena. Élevé dans une famille catholique pratiquante, il est, dès son plus jeune âge, marqué par les violences inter religieuses. A cette époque l’Irlande du Nord est majoritairement protestante, liée à la Grande Bretagne, tandis qu’une partie de la population catholique est partisanne de l’indépendance. Ces tensions et violences, comme il le dit souvent lui-même, n’ont pas déclenché chez lui une soif de rébellion ou de militantisme. Contrairement à bon nombre d’acteurs et réalisateurs irlandais il n’a jamais été particulièrement attiré par ce type de cinéma.

Cette éducation rigoureuse et pieuse a tout de même forgé chez lui une envie de justice sociale et d’équité. Bien qu’attiré à l’adolescence par le théâtre, le contexte familial délicat ne lui permet pas d’envisager cette carrière. Il doit travailler afin de pouvoir payer ses études, aider ses parents et ses sœurs. Il souhaite d’abord devenir professeur et passe deux années à l’université de Newcastle avant d’abandonner cette vocation qui ne lui apporte que peu de satisfaction. Il enchaine les petits boulots dans sa ville natale, avant de finalement trouver une place au sein du Lyric Player’s Theater de Belfast. C’est par ce biais que Liam Neeson fera sa place petit à petit dans le milieu théâtrale irlandais, enchainant les productions modestes, durant la fin des années 1970.

Pour son premier rôle au cinéma, il est engagé pour jouer dans un petit film religieux adapté du livre de John Bunyan, The pilgrim progress, sans toutefois marquer les esprits. C’est le grand réalisateur John Boorman qui lui ouvrira véritablement les portes du cinéma en lui confiant un rôle dans Excalibur, en 1980.

Dès lors Liam Neeson est engagé dans une carrière cinématographique jalonnée par de grands rôles, dans des films d’époque. L’acteur est particulièrement attiré par les films historiques et va en faire l’une de ses spécialités. C’est ainsi qu’au cours des années 1980 on le découvre dans les films Le Bounty sur la fameuse révolte navale, Mission de Roland Joffé sur les missions d’évangélisations en Amérique du sud au XVIIIème siècle. On retrouve aussi une attirance pour les projets ayant pour sujet la religion ou la foi dans son ensemble. Ses personnages sont souvent mus par une force intérieure, une croyance qui les guide sur un chemin plus vertueux que celui sur lequel ils se sont préalablement engagés. C’est ainsi que le point culminant de ce début de carrière prometteur symbolise parfaitement ces deux facettes de l’acteur.

En 1993, Liam Neeson est engagé par Steven Spielberg dans le rôle-titre de La liste de Schindler. Ce projet n’est pas anodin pour le réalisateur qui y voit son œuvre maitresse, le film qui va lui permettre d’accéder à une nouvelle forme de reconnaissance en lui ouvrant le chemin vers les oscars. Il est donc particulièrement flatteur pour Liam Neeson, relativement peu connu à l’époque, d’avoir été choisi pour interpréter ce rôle si crucial. L’industriel Oskar Schindler est un personnage plus complexe qu’il n’y parait de prime abord. Le film n’élude absolument pas le cheminement moral d’un homme qui deviendra « un juste parmi les justes » en parvenant à éviter les camps d’exterminations à quelques milliers de juifs qu’il emploie dans ses usines. Il était crucial pour le metteur en scène que l’acteur n’éclipse pas le personnage en lui-même, mais garde tout de même un puissant charisme. Neeson incarne à merveille ce rôle, qui lui ouvre en grand les portes d’Hollywood.

Il poursuit sa carrière sur la même voie, en choisissant majoritairement des rôles complexes de personnages ambiguës, dans des films d’époque. On le retrouve ainsi dans les rôles principaux des films Rob Roy et Michael Collins, sortis respectivement en 1995 et 1996. Ces deux films traitent de manière romancée deux figures historiques. Dans Rob Roy, Liam Neeson interprète un chef de clan qui s’endette pour enrayer la famine de son peuple, il se retrouve alors bien malgré-lui au cœur d’une machination ourdie par un noble sans scrupule. Une fois encore Neeson insuffle sa prestance dans le personnage, tout en ne négligeant pas le questionnement éthique qui le ronge. Il ira plus loin dans le film suivant Michael Collins, brossant le portrait d’une figure emblématique du mouvement indépendantiste Nord-Irlandais des années 1920. Collins est considéré comme l’un des pères du terrorisme politique moderne, ayant mis au point des réseaux de guérillas urbaines particulièrement meurtriers. Une fois encore le questionnement moral est au cœur du sujet du film, la justesse de la cause de Michael Collins justifie-t-elle les morts qu’elle engendre ?

Il enchaine l’année suivante avec le rôle de Jean Valljean dans une nouvelle adaptation des Misérables, réalisée par Billie August. Une fois encore il incarne un personnage en quête de rédemption au cœur du chaos politique. Son dernier rôle marquant de la décennie sera celui de Qui Gon Jin dans Star Wars Episode I : La menace fantôme. Cette suite de la plus grande saga cinématographique de l’histoire est, à l’époque, attendue depuis seize ans par une cohorte de fans. Les enjeux sont immenses pour l’acteur qui doit porter un film d’une telle envergure sur ses épaules. Qui Gon Jin est taillé pour Liam Neeson. Homme sage guidé par ses croyances en la Force, il n’hésite jamais à aller à l’encontre de sa hiérarchie pour ce qu’il croit être juste. En ce sens, il reste dans la droite ligne de ce que l’acteur pouvait proposer à l’époque. Dans les années 2000, sa carrière et sa vie vont basculer soudainement, presque simultanément. Il va alors s’éloigner un temps de ce type de rôle qui avait façonné son succès jusqu’alors. Il y reviendra néanmoins en 2016 devant la caméra de Martin Scorsese, réalisateur avec qui il avait déjà collaboré au début des années 2000, pour Gangs of New-York

Silence, Martin Scorsese ©Metropolitan FilmExport

Silence, est l’adaptation d’un roman de Shusaku Endo publié en 1966, traitant de la persécution des chrétiens au Japon au XVIIème siècle. On retrouve dans ce long métrage la plupart des marottes de l’acteur. Il s’agit une nouvelle fois d’un film historique traitant de la persécution religieuse mais aussi d’une manière plus intime d’un questionnement sur la foi. Liam Neeson interprète le père Cristovao Ferreira, prêtre portugais chargé d’évangéliser le Japon et qui a fini par abjurer sa religion pour vivre parmi les japonais. Ses anciens disciples se rendent donc sur place afin de le secourir, persuadés qu’il a agi sous la contrainte. Son personnage va littéralement hanter le film comme une figure fantasmée, à l’image du personnage de Marlon Brando dans Appocalypse Now. Au bout de ce voyage initiatique à travers le Japon, le personnage principal interprété par Andrew Garfield, découvrira la vérité sur la décision de son mentor, vérité plus complexe qu’il ne le présageait auparavant. Liam Neeson a su, à travers ce rôle, synthétiser une grande partie de ses obsessions et des thématiques qui lui tiennent à cœur en tant qu’acteur.

La rage au ventre : 

TAKEN, Pierre Morel ©Twentieth Century Fox Film Corporation

En 2008, sa carrière va prendre un tournant plutôt inattendu. Liam Neeson est engagé par le réalisateur/producteur Luc Besson pour interpréter le rôle principal de l’une de ses nouvelles productions, Taken. Neeson pensait initialement qu’il s’agissait d’un petit film qui ne connaitrait pas de sortie en salle. Pourtant le long métrage obtient un succès retentissant, devenant même un véritable phénomène culturel. Une scène en particulier retient l’attention du public. Elle résume, à elle-seule, à la fois le personnage qu’il interprète, mais aussi l’image qu’il cultivera désormais auprès des spectateurs. Dans cette séquence, Brian Mills, ancien agent de la CIA, interprété par Neeson, a une conversation téléphonique avec les kidnappeurs de sa fille. Il leur explique froidement, les dents serrées, qu’il va les traquer et les tuer s’ils s’en prennent à son enfant. Le ravisseur amusé à le malheur de lui répondre : « Bonne chance ! ». Bien sûr la suite du film n’est que la démonstration de la menace qu’il avait proférée. Liam Neeson incarne désormais la vengeance implacable, la rage intraitable, la personnification d’un phénomène naturel qu’il vaut mieux ne pas affronter. Après l’immense succès de Taken, l’acteur va embrasser pleinement cette carrière dans le cinéma d’action. C’est ainsi qu’il va créer une persona, dans laquelle le public l’identifie désormais. Son personnage type est un homme désabusé, violent qui va user de ses connaissances pour faire le bien autour de lui. Il aime rapprocher ce type de rôles à ceux qu’interprétaient Clint Eastwood ou Charles Brunson dans les années 1970-1980. Avant de s’engager pleinement dans une carrière de star de films d’action, il avait déjà été approché par la célèbre famille Broccoli au début des années 1990 pour interpréter le grand espion britannique, James Bond, mais son épouse, Natasha Richardson l’avait alors dissuadée de s’y engager.

Un an après la sortie de Taken, sa femme décède dans un tragique accident de Ski au Québec. Comme un terrible écho à sa vie personnelle, Liam Neeson avait aussi connu le succès en jouant le rôle d’un veuf s’occupant seul de son beau-fils, dans la comédie culte Love Actually de Richard Curtis, en 2003. Ce drame personnel va bouleverser l’acteur et sa famille. Cette seconde carrière dans les films à grand spectacle, peut-être vue comme une forme d’exutoire. Liam Neeson va ainsi pouvoir décharger toute sa rage et sa frustration dans son travail poussant toujours plus loin les séquences d’action dans lesquelles il s’engage. Il tourne ainsi dans tous les films de la saga Taken, mais aussi dans l’adaptation de la série télévisée L’agence tout risque, interprétant pour l’occasion le personnage emblématique d’Hannibal, chef de la célèbre agence de mercenaires. Pour parachever cette nouvelle image construite dans les années 2010, l’acteur va interpréter le personnage de « méchant flic » dans La grande aventure Lego, en 2014. On le retrouve surtout, dans une succession de films d’action aux recettes similaires tels que : Le territoire des loups (2012), Non Stop (2014), Balade entre les tombes (2014), Sang-froid (2019), ou encore les deux films Ice Road (2021, 2025).

C’est ce type de personnage qu’il cherche désormais à déconstruire dans son nouveau film Y-a-t-il un flic pour sauver le monde ?. Il s’éloigne de l’interprétation flegmatique de son prédécesseur, Leslie Nielsen, afin de camper un policier grognon et violent pour mieux s’en moquer. Jouant parfaitement avec son image soigneusement cultivée de gros dur qui serre les dents, il livre ici une parfaite adaptation contemporaine de l’esprit absurde de ce type de comédie. Durant toute la promotion il est également parvenu à jouer avec son image publique dans les médias, en se moquant avec beaucoup d’autodérision de ses nombreux personnages des années 2010, déclamant ses plus célèbres répliques, utilisant des lunettes pour lire les résumés de ses anciens films, déclenchant ainsi l’hilarité d’un public peu habitué à voir l’acteur sous ce nouveau jour.

Y a-t-il un flic pour sauver le monde ?
Y’a-t-il un flic pour sauver le monde ? Akiva Schaffer ©PARAMOUNT PICTURES

Liam Neeson est un immense acteur dont il serait bien périlleux de résumer la carrière. Il a tourné dans plus de cent films, aux côtés de grands réalisateurs tels que John Boorman, Roland Joffé, Steven Spielberg, Neil Jordan, Sam Raimi, Woody Allen, Barbet Schroeder, Martin Scorsese, ou encore Riddley Scott. Il a également su marquer le public en devenant une véritable icône de la pop culture.

Grace à Y’a-t-il un flic pour sauver le monde ?, l’acteur de 73 ans se lance donc dans ce qui semblerait être une troisième partie de carrière dans laquelle il saura sans doute se confronter à des rôles plus comiques que ceux dans lesquels il s’épanouissait auparavant. Dans un monde où l’absurdité générale dépasse bien souvent la fiction, le public a besoin de décompresser en riant de bon cœur. Liam Neeson dont les personnages sont si ancrés dans l’imaginaire collectif, vogue donc désormais vers ce nouvel horizon qui saura certainement le mener vers d’autres succès.

 

 

Raphaël Bleines-Ferrari

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