Interview de Nathalie Coste-Cerdan, Directrice Générale de la Fémis
Pouvez-vous nous parler de la FEMIS et de votre rôle au sein de cette école ?
Je suis la directrice générale de la Fémis, l’Ecole nationale des métiers de l’image et du son. Une école publique qui forme les professionnels du cinéma et des séries, à tous les métiers : réalisateur, scénariste, monteur, producteur, chef opérateur, ingénieur du chef, scripte, décorateur, distributeur, exploitant.
Cet établissement est tout à la fois : une école d’art et une formation hyper professionnalisante. L’apprentissage est fondé sur un équilibre entre la pratique et l’incitation à la réflexion, à l’analyse. Le volet pratique repose sur la fabrication par les étudiants de plusieurs courts métrages au cours de leur scolarité, chacun à leur poste. Ce sont les professionnels du secteur qui assurent l’encadrement des études (plus de 500 par an). La Fémis est donc une école « sans cours magistraux, ni professeurs ».
Cette pédagogie a fait ses preuves, puisque selon le dernier classement des Ecoles de cinéma mondial établi par l’hebdomadaire Variety, la Fémis figure parmi les 5 écoles européennes présentes dans ce Top 50 mondial.
En tant que Directrice Générale, j’assure le bon fonctionnement de l’établissement et de ses 3 communautés (étudiants, intervenants, personnel permanent), suis la garante de la qualité de l’enseignement comme de la solidité de ses ressources et enfin, assure les relations avec ses organismes de tutelle qui sont le CNC et le ministère de la Culture, ainsi qu’avec ses partenaires et l’ensemble du secteur du cinéma.
Quels sont les outils ou méthodes que vous avez mis en place pour continuer votre enseignement ?
L’Ecole a fermé le vendredi 16 mars au soir. Dès les premiers jours, nous avons mis en place des outils de visio-conférence pour des échanges à distance et des cours. Très rapidement, les directeurs de chaque département d’études ont pris en main ces outils et organisé un contact régulier avec les 200 étudiants de l’Ecole. Les responsables d’année et l’équipe pédagogique permanente s’est mobilisée pour convertir en enseignement à distance tout ce qui a pu l’être, sans porter atteinte à la qualité des apprentissages. Seules, les activités nécessitant une présence à l’Ecole, comme les tournages, la post-production, les exercices requérant l’utilisation de matériels de l’école, ont donc été suspendues.
Chaque spécialité d’enseignement a ainsi adapté la pédagogie à cette crise. Si les travaux d’écriture (scénario, séries) sont peu affectés, les étudiants ayant poursuivi l’écriture de leur projets personnels, les départements techniques ont profité de cette période pour réorganiser leurs cours : les étudiants ont d’abord été invités à poster des créations sonores, photographiques, audiovisuelles, discutées commentées ensuite dans des échanges en visio-conférence.
De nombreuses rencontres avec des professionnels ont été mises en place : les réalisateurs Pierre Schoeller, Laurent Cantet, Quentin Dupieux,… sont venu échanger avec les étudiants du département Son, sur les rapports que les réalisateurs entretiennent avec la création sonore. Le département Image a invité également de chefs opérateurs comme Claire Maton, Julien Poupard, Gilles Porte ou Caroline Champetier… Les apprentissages techniques ont été conçus en intégrant la contrainte de la distance (par exemple l’exercice de découpage pour les scriptes). Une session autour des formes dynamiques de l’art contemporain et les relations du cinéma avec ces arts a été poursuivie enfin au cours de ces 8 semaines pour l’ensemble des étudiants.
Les échanges internationaux ont pour la plupart, dû être annulés par la force des choses, mais certains cours en visio-conférence ont pu être organisés comme avec la prestigieuse Université Columbia à New York, pour les étudiants producteurs.
Vos étudiants continuent donc de travailler à distance, comment rester créatif lorsque nous sommes confinés ?
Les étudiants ont été incités par leurs intervenants, durant cette période particulière, à produire des sons, des photographies, des croquis, des plans, des clips… Ces travaux resteront la mémoire de cette période de confinement.
Par ailleurs, la direction des études les a constamment nourris de références cinématographiques, accessibles souvent gratuitement pendant cette période, pour enrichir leur connaissance et stimuler toujours davantage leur curiosité artistique.
On leur a également adressé l’ensemble des appels à projets de courts métrages pour qu’ils puissent postuler en se concentrant à ce stade sur l’écriture des scénarios.
Pensez-vous que le fait d'être confiné puisse avoir des conséquences positives sur la façon d'apprendre, d'imaginer, de créer ?
La Fémis, ses étudiants comme ses enseignants ou son personnel, a montré qu’elle pouvait en tous cas s’adapter à cette crise avec beaucoup d’engagement et de créativité. En particulier, l’un des enjeux a été de veiller à ce que personne ne se sente isolé et soit « déconnecté » durant cette période inhabituelle et puisse continuer à avoir un lien avec l’Ecole.
L’ensemble des activités décrites précédemment traduisent les innovations pédagogiques qui ont été mises en œuvre dans cette période. Nous serons en mesure dans quelques temps d’en faire le bilan mais je pense que certaines pratiques survivront à cette crise sanitaire avec des conséquences positives.
Vous avez un programme spécifique, la Résidence, pouvez-vous nous expliquer en quoi il consiste et nous dire si la continuité pédagogique fonctionne aussi bien pour eux ?
Le programme de la Résidence est une formation destinée à de jeunes autodidactes, passionnés de cinéma qui aspirent à la réalisation sans avoir les prérequis pour passer le concours général. La Résidence leur offre une formation d’un an pour faire un film dans les mêmes conditions que les étudiants en réalisation de la 4eme année du cursus général tourner un court métrage.
Les tournages des films des 4 étudiants de La Résidence ont dû être reportés. Ces tournages font partie des priorités de l’école à la reprise. En attendant, les deux intervenants scénariste et cinéaste qui accompagnent ces projets ont continué à améliorer leurs scénarios, avec des rendez-vous réguliers.
Avez-vous un message pour ceux qui souhaitent se lancer dans les métiers du cinéma ?
De cette période complexe, incertaine, il s’agit plus que jamais de commencer à penser le monde de demain. Ne pas baisser les bras et faire preuve d’imagination et de créativité. Le monde d’après ne pourra pas, dans nos métiers du cinéma et de l’audiovisuel sans doute plus encore que pour les autres, ressembler au monde d’avant. C’est aussi à vous, jeunes gens et des jeunes filles, de participer à sa ré-invention.