September & July : deux sœurs, une ombre

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Date de publication : 19.02.25
Découvert en mai 2024 dans la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes, le premier long-métrage d’Ariane Labed aborde notamment la sororité, l’adolescence et l’amour toxique. Adapté du roman Sœurs de Daisy Johnson, le film tisse les portraits de trois personnages féminins : July et September, deux sœurs inséparables, et Sheela, leur mère. Retour sur un teen movie hypnotique qui explore l’étrange et difficile expérience de grandir.

September says

« September a dit… Danse. » « September a dit… Gifle-moi. »

Vous souvenez-vous de « Jacques a dit » ? Ce jeu, simple et innocent en apparence, illustre bien la relation complexe entre les sœurs September (Pascale Kann) et July (Mia Tharia). Pas de doute, c’est un lien fusionnel qui unit July, une jeune fille curieuse et discrète âgée de quinze ans, et September, son aînée de dix mois. Pourtant, cette dernière, protectrice et autoritaire, semble aussi exercer sur July un pouvoir troublant. Mais plus September ordonne, plus July s’interroge. Les défis lancés par September rappellent aussi la façon dont Sheela (Rakhee Thakrar), leur mère artiste, mettait en scène les deux filles lorsqu’elles étaient enfants, afin de réaliser des photos. Maintenant que ses filles ont grandi, elle semble désemparée face à l’ambiguïté de leur lien. Tout au long du récit, dans les couloirs du lycée, dans la maison familiale ou dans la campagne irlandaise, s’installent une atmosphère mystérieuse et une tension palpable. C’est lorsque les trois personnages partent s’isoler dans une maison de vacances que quelque chose semble véritablement évoluer entre les deux sœurs.

Dans September & July, Ariane Labed interroge l’amour familial inconditionnel et la façon dont il peut laisser place à la manipulation, jusqu’à l’étouffement. Le long-métrage décrit la difficulté de grandir, de s’affirmer, mais aussi de prendre conscience du caractère toxique de certaines relations. À travers le point de vue de July, la cinéaste interroge la notion de sororité, en explorant sa puissance presque magique, mais aussi l’étrangeté de son aspect inconditionnel (lorsqu’on parle des liens de sang) et les dommages qu’il peut causer.

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Regarder l’invisible

Le regard d’Ariane Labed sur l’intimité de ce trio féminin nous donne à voir ce qui est rarement visible au cinéma. September, July et Sheela sont des personnages complexes et singuliers, dont nous découvrons le quotidien et la féminité sans fard. September & July explore aussi toute la bizarrerie de l’adolescence, en représentant le lycée comme un milieu hostile, la confrontation avec le monde adulte comme une épreuve absurde, mais aussi en évoquant l’ennui, la fantaisie débordante et les premiers désirs. September et July semblent encore très liées à leur enfance et se sont construit un univers bien à elles, ce qui leur donne une image de jeunes filles à la marge. Pourtant, une ombre plane sur les jeux innocents et les défis puérils qu’elles inventent. Au-delà de la sororité et de l’emprise, le long-métrage aborde aussi un autre thème, révélé à la fin du récit. Il s’agit encore une fois de montrer quelque chose d’invisible et pourtant, bouleversant pour la personne qui le vit.

September & July est très riche en nuances : sans prévenir, le film bascule de l’humour à la noirceur, entremêlant des accents surréalistes et horrifiques. Les images hypnotiques (tournées en pellicules 16 mm et 35 mm 2 perforations) de Balthazar Lab retranscrivent parfaitement cette atmosphère troublante et mystérieuse. D’autre part, les trois actrices, Mia Tharia, Pascale Kann et Rakhee Thakrar, proposent des performances formidables, qui nous font ressentir le plaisir qu’elles ont eu à construire leurs personnages ensemble.

Ariane Labed signe ainsi un premier long-métrage sensible, envoûtant et brillant, qui révèle au fur et à mesure de son récit une puissance insoupçonnée.

 

Marie Serale | @marie_srl

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