EPISODE 23 - Le prodigieux décor des Amants du Pont-Neuf
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La scène : Alors qu’un feu d’artifice enflamme le ciel de Paris, Michèle et Alex improvisent une danse passionnée sur la plus belle scène de la capitale : le Pont-Neuf.
En collaboration avec le magazine TroisCouleurs, découvrez un métier du cinéma, en explorant les coulisses d’une scène culte. On vous parle ici du poste de chef décorateur, et du film de tous les superlatifs, dont le tournage chaotique a fait les choux gras de la presse au début des années 1990, Les Amants du Pont-Neuf est resté dans les mémoires pour son décor monumental, sans réel équivalent dans l’histoire du cinéma français.
Par Julien Dupuy
DES MOTS AUX MAUX
« L'histoire d'un amour fou entre deux jeunes gens (…) ayant pour décor le plus vieux pont de Paris, le Pont-Neuf. » C’est par ces simples mots placés en ouverture de son scénario, que l’auteur-réalisateur Leos Carax amorce l’une des productions les plus ambitieuses du cinéma français. Car son désir de filmer sur l’un des ponts les plus fréquentés de la capitale française est au cœur de son projet, et implique de monumentales problématiques de production.
Les Amants du Pont-Neuf dit l’importance exceptionnelle du chef décorateur sur ce genre de long-métrage. Responsable en très large partie de l’apparence du film, il est aussi l’un des seuls chefs de poste à devoir budgéter ses besoins auprès de la production. En d’autres termes, il est, avec le réalisateur, celui qui va littéralement bâtir le monde du film, tout en assumant les frais engagés par le projet.
Lors de l’étude de la faisabilité du scénario de Carax, la production contacte immédiatement deux des plus grands chefs décorateurs français : Alexandre Trauner (Hôtel du Nord, La Garçonnière) et Max Douy (La Règle du jeu, Moonraker). Le premier suggère de tout construire dans l’enceinte facilement contrôlable d’un studio. Le second estime qu’un tel décor impose l’utilisation massive d’effets spéciaux. Aucune de ces solutions ne convient à Carax, qui cherche un décor aussi naturaliste que possible.
C’est finalement un jeune chef décorateur, Michel Vandestien, déjà en poste sur Mauvais Sang, le premier film de Carax, qui relève le gant. Après avoir envisagé, très brièvement, la possibilité de tourner l’intégralité du film sur le vrai pont, il semble évident qu’une reconstitution est impérative. Et après avoir cherché le terrain idéal en Yougoslavie, en Espagne et en Afrique du Nord, c’est finalement aux environs de la petite ville de Lansargues, dans l’Hérault, que sera installé ce décor, sans précédent dans l’histoire du cinéma français.
UN MONUMENT EN BÉTON SCULPTÉ
Le chantier cyclopéen de huit hectares, dont va émerger le faux Pont-Neuf de Carax, va chambouler le paysage de cette bourgade. Il va falloir déplacer 200 000 mètres cube de terre pour le sol, puis créer des remblais pour les bassins simulant l’eau de la Seine. Le pont lui-même est constitué de béton sculpté (notamment pour les pavés), de plâtre, de bois, de feutrine et de résine. Et les façades d’immeubles qui le cernent, sont fixées sur d’immenses échafaudages qui cerclent le pont et le bassin.
À son pic, l’équipe de construction emploie plus de 200 ouvriers décorateurs, pour la plupart débauchés dans la région, et souvent novices en matière de cinéma. Michel Vandestien s’amuse à calculer la quantité de matériaux surréaliste engouffrée dans ce décor : 2 millions de vis et de clous, 320 tonnes d’échafaudages et l’équivalent de douze stades de football de contreplaqué.
LICENCE POÉTIQUE
Même si Leos Carax est attaché à ce que son décor se rapproche au maximum du véritable Paris, les contraintes techniques, économiques et artistiques imposent leur propre licence poétique. Tout d’abord, pour économiser sur cette reconstitution dantesque, Vandestien réduit d’un tiers l’échelle du véritable pont.
Ensuite, toutes les vues des immeubles parisiens sont assurées selon la technique de la perspective forcée : plus les éléments sont loin de la caméra, plus leur échelle rapetisse. Concrètement, si les façades d’immeuble proches du pont sont quasi à taille réelle, les bâtiments que l’on aperçoit au fond de la place du Châtelet ne dépassent pas les trois mètres de haut. Sans qu’il ne soit clairement identifié par le spectateur, ce subterfuge est perceptible inconsciemment, et confère un savoureux côté pastiche au plateau.
Enfin, ce faux Pont-Neuf émerge dans un contexte totalement différent du paysage parisien : le ciel, la qualité de l’air et de la lumière, mais aussi la couleur de l’eau, sont radicalement différents du véritable environnement urbain. Cette somme de distances prises avec la réalité, donne à ce plateau, et par conséquent au film, un parfum très particulier.
LE MISTRAL S'EN MÊLE
Au fil d’une production chaotique (et très documentée), Les Amants du Pont-Neuf connaît d’énormes soucis de financement, et ce gigantesque plateau à ciel ouvert reste désert pendant plusieurs mois.
Un décor de cinéma est, par essence, éphémère et quand le Mistral se met à souffler, il emporte avec lui la plupart des délicates façades d’immeubles qu’il faudra inlassablement réparer en attendant que le tournage reprenne. Lorsque le clap de fin retentit, trois ans après le lancement du projet, Les Amants du Pont-Neuf affiche un budget monumental : 130 millions de francs, soit 30 millions d’euros environ.
APRÈS LE TOURNAGE
Comme on peut s’en douter, le premier à faire les frais des dépassements budgétaires est le chef décorateur lui-même, qui a les plus grandes peines à retravailler dans les années qui suivent : « J’étais devenu le chef déco le plus cher du monde » se souvient Michel Vendestien.
Planté au cœur d’une zone humide, aujourd’hui protégée pour la richesse de sa biodiversité, le faux Pont-Neuf de Leos Carax a laissé des traces. Quand la production part, elle emporte avec elle une partie du matériel, brûle, durant une semaine complète, les fausses façades d’immeuble, et abandonne sur place de gigantesques plaques et piliers de béton, ainsi que des centaines de mètre carrés de feutrine. Plusieurs années après ce tournage épique, les autorités locales obtiennent enfin, à l’été 2021 une aide de 850 000 € des instances européennes, pour dépolluer le site. Les Amants du Pont-Neuf aura démontré qu’un décor de cinéma n’est pas toujours qu’un mirage.
Pour aller plus loin
Entretien avec le chef décorateur du film, Michel Vandestien
http://www.objectif-cinema.com/interviews/191b.php
Entretien très complet de Jérôme Perrier, chef constructeur sur les décors du film.
https://www.dailymotion.com/video/xjy29j
Que reste-t-il de ce décor monumental ? Un reportage de France 3 Occitanie répond à cette question dans ce reportage qui fait un état des lieux alarmant pour l’éco-système.
https://www.youtube.com/watch?v=B4a0vLotl78
Un reportage d’époque sur l’appréciation, souvent cruelle, de ce tournage par les habitants de Lansargues.
https://www.youtube.com/watch?v=4ieYjDW8H9o
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