Il était une fois... Shogun
Depuis le 27 février sur Disney+ une nouvelle série ne cesse de défrayer la chronique. Souvent comparée par ses spectateurs et les critiques à Game Of Thrones, Shogun mêle une imagerie choc avec des intrigues politiques complexes. Alors que le dernier épisode vient tout juste d’arriver sur nos écrans, il est temps maintenant de revenir sur les origines de cette fresque historique japonaise, afin de comprendre pourquoi elle fascine et passionne autant son public.
Un roman historique :
Shogun est à l’origine, un roman écrit par James Clavell, paru en 1975. Le romancier, bien qu’australien, a un lien un peu particulier avec le Japon. Officier d’artillerie durant la Seconde Guerre mondiale, il est fait prisonnier par l’armée japonaise en 1941 et est enfermé dans la prison de Changi à Singapour pendant quatre ans. Là-bas, il développe une fascination pour la culture asiatique en générale, et il apprend, comme il le dira lui-même plus tard, « l’art de la survie ». Cette étude forcée de l’âme humaine va longtemps le hanter et nourrir l’ensemble de son œuvre. L’idée d’écrire Shogun lui vient plusieurs années après sa captivité, lorsqu’il tombe sur une simple phrase dans un manuel scolaire de sa fille racontant l’histoire de William Adams, un marin anglais échoué sur les côtes du Japon. Devenue plus tard Miura Anjin, Samouraï et vassal d’Ieyasu Tokugawa, futur Shogun du Japon. Ces évènements historiques ont lieu en 1600 dans une période de grands troubles politiques pour le pays. Plusieurs seigneurs de guerre se disputent le pouvoir après la mort du dernier dirigeant, qui n’a laissé comme héritier qu’un enfant, trop jeune pour lui succéder. Tokugawa, par ses alliances et son habileté martiale va unifier le Japon et vaincre ses adversaires pour devenir le Shogun, Général, chef des armées, régnant sur le Japon, supplantant même l’empereur qui n’avait à l’époque qu’un rôle d’apparat. À partir de ces évènements historiques, Clavell, après trois années de recherche, va concevoir une histoire romancée, prenant Anjin comme point de vue principal. L’écrivain, afin de faire comprendre à son lecteur qu’il s’agit bien d’une fiction, va modifier soigneusement les noms de tous les personnages historiques utilisés pour son récit. Il va également inventer une histoire d’amour entre l’Anglais protestant, et sa traductrice japonaise, une noble convertie au catholicisme, basée également sur une figure historique. Le récit mêle donc plusieurs intrigues, politiques, religieuses, et amoureuses qui vont s’entremêler et converger afin de faire de Toranaga, le Ieyasu Tokugawa du livre, le Shogun. Tous ces éléments, ce contexte inédit, lui assure un grand succès auprès du public occidental. L’idée germe alors à Hollywood d’adapter ce best-seller sur le petit écran.
1980, Une série romantique à succès :
Clavell n’est pas étranger au petit monde d’Hollywood. Depuis les années 1960, il écrit des scénarios pour le grand écran. Il est approché par NBC à la fin des années 1970 pour l’acquisition des droits de Shogun, qu’il accepte de céder contre une participation active à la production de la future série. NBC, avec l’accord du romancier, choisit Eric Bercovici pour écrire le scénario en 1978. Bercovici n’est pas un novice, il a travaillé pour de nombreux programmes à succès comme The man from the U.N.C.L.E, et Hawaii Five-O. Avec Clavell, ils conviennent très rapidement de simplifier l’intrigue du roman afin de ne pas brusquer le public américain, peu habitué à des récits complexes et exotiques. Les deux hommes décident de se concentrer sur l’intrigue de l’histoire d’amour tragique entre Anjin/John Blackthorne et Mariko, son interprète japonaise. Il conserve tout de même la figure importante de Toranaga et les scènes cruciales du roman qui vont mener à son accession au pouvoir, sans entrer dans les atermoiements et les détails de ses jeux politiques. Il est aussi décidé de conserver la langue japonaise sans toutefois en faire la langue principale de la série et en ne sous-titrant pas les personnages. Bercovici rajoute également un narrateur qui va servir à expliquer aux spectateurs certains points d’intrigues et faire une remise en contexte historique afin que tout soit parfaitement clair et didactique. En tout, dix épisodes de 55 minutes sont écrits par Bercovici sous le contrôle de Clavell. Jerry London est ensuite engagé pour réaliser toute la série, directement au Japon afin de maitriser les coûts de production. Le rôle du narrateur est assuré par Orson Welles, aguerri par ses feuilletons à la radio avant sa carrière au cinéma. Pour le casting du personnage principal, James Clavell a en tête Sean Connery. Ce dernier refusera néanmoins, n’ayant jamais travaillé à la télévision. Bercovici et London pensent alors confier le rôle à Richard Chamberlain, habitué des planches, et des plateaux télé. Après l’avoir vu en audition, Clavell cède, et sera parfaitement satisfait par la performance de ce casting de dernière minute. Pour le rôle de Toranaga, le choix est moins complexe, puisque l’acteur japonais Toshiro Mifune accepte directement la proposition de la production américaine. Mifune est une immense star au Japon, ayant travaillé pendant des décennies pour les plus grands réalisateurs de l’époque, comme Ishiro Honda, Kinji Fukasaku, et surtout Akira Kurosawa dont il a longtemps été l’acteur fétiche. Il n’est pas non plus inconnu des spectateurs occidentaux, puisqu’il a tourné en 1971 dans Soleil Rouge de Terrence Young, aux côtés de Charles Bronson et Alain Delon. Pour le personnage de Mariko, la production choisit l’actrice Yoko Shimada, peu connue en dehors du Japon. Shimada interprète le seul personnage japonais de la série qui doit parler l’anglais. Malheureusement, l’actrice ne maitrise pas parfaitement la langue et est forcée d’apprendre son texte phonétiquement. Le tournage est difficile et dure plus de 130 jours. Durant la production, un village de pêcheur construit pour l’occasion est détruit par un typhon. Malgré ces difficultés, la série est diffusée le 15 septembre 1980 sur NBC. Elle connait un immense succès public et critique avec 8 nominations aux Emmy awards, et trois golden globes (meilleure série dramatique, meilleur acteur dans une série dramatique pour Richard Chamberlain, meilleure actrice dans une série dramatique pour Yoko Shimada). Elle devient la deuxième mini-série la plus vue à cette époque et place le roman en tête des ventes mondiales.
2024, Une fresque intimiste sans concession :
La nouvelle série Shogun est depuis longtemps en développement pour la chaine américaine FX. Justin Marks et Rachel Kondo showrunners en couple, professionnellement comme à la ville, ont commencé à plancher sur le projet dès 2018. En cinq ans, ils ont tout vécu, ayant même eu deux enfants durant la production. Contrairement à la série originale, Kondo et Marks ont pu compter sur un groupe de scénaristes dédié à l’écriture de chaque épisode. Le scénario d’abord écrit en anglais a ensuite été traduit au Japon dans un langage parlé un peu ancien, décrit par les acteurs japonais de la série comme un style shakespearien japonais. Le script a ensuite été relu par les producteurs japonais Eriko Miyagawa (qui a travaillé sur Silence de Martin Scorsese et Kill Bill de Quentin Tarantino) et Hiroyuki Sanada (acteur jouant le rôle de Toranaga dans la série) avant d’être définitivement validé. Sanada est une super star au japon, mais est aussi connu internationalement pour avoir joué dans des blockbusters américains (Le dernier samouraï avec Tom Cruise, Rush Hour 3 avec Jackie Chan, Avengers Endgame, Bullet Train avec Brad Pitt, et l’an dernier dans John Wick 4 avec Keanu Reeves). Les acteurs qui l’accompagnent, Cosmo Jarvis (John Blackthorne) et Anna Sawai (Mariko), ont une notoriété plus modeste mais apportent tous deux une dimension et une gravité incroyable à leur personnage.
Sur le plateau de tournage, quatre personnes sont chargées de vérifier que l’étiquette et les coutumes de l’époque sont respectées. L’idée motrice des showrunners et des producteurs, c’est avant tout une recherche d’authenticité. Les acteurs japonais sont souvent consultés afin de rendre la série crédible pour un public japonais au regard plus aiguisé que celui du public occidental. Enfin, plusieurs réalisateurs japonais ont travaillé sur certains épisodes, toujours dans cette recherche de crédibilité.
La série est aussi plus fidèle, en général, au roman. Toutes les arches narratives sont traitées : la romance, les luttes politiques et religieuses, mais aussi les conflits moraux des différents protagonistes. Les scénaristes ont toutefois fait le choix de tuer deux personnages qui ne mouraient pas dans le roman, car leurs rôles devenaient mineurs dans les évènements ultérieurs, tout cela afin d’ajouter du drame et de la tension autour de Toranaga. Les épisodes ont été tournés dans l’ordre chronologique, pour permettre aux acteurs de mieux appréhender leurs relations au fur et à mesure du temps qui passe. Les péripéties sont traitées de manière plus sombre et violente que dans l’original, qui pourtant ne manquait pas de scènes chocs pour son époque. Les personnages sont aussi plus grossiers, ajoutant une tension supplémentaire aux scènes de traduction. Ici, les états d’âme des trois protagonistes sont au cœur du drame qui se joue sous nos yeux, si bien que finalement les batailles et les grandes scènes épiques sont plutôt absentes du programme.
Cette fidélité au roman, cette recherche constante d’authenticité, et ce respect de la culture japonaise se révèlent être un pari gagnant, qui dépasse même les espérances les plus folles de ses créateurs. Le magazine Variety annonce 9 millions de téléspectateurs pour le lancement de la série, et une audience qui s’est stabilisée d’épisode en épisode. Les notes du public et des critiques sur les sites spécialisés atteignent presque toujours les sommets. Tout cela est tout simplement inédit pour une série qui est en grande partie tournée en japonais et sous-titrée. Malgré cet incroyable succès, Justin Marks et Rachel Kondo sont honnêtes et très clairs lorsqu’ils sont interrogés sur la possibilité de proposer une suite à Shogun. Ils n’iront pas au-delà du roman de Clavell, condamnant de fait toutes possibilités d’une deuxième saison. Il ne reste plus maintenant à la série qu’à suivre les pas de son illustre aîné dans les futures remises de prix de l’année prochaine, mais ceci est une autre histoire...
Raphaël BLEINES-FERRARI