Le Retour du Jedi - La face cachée de la force
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Revenge of the Jedi est devenu Le Retour du Jedi, et le plus gros succès de l'année 1983. Il y a quarante ans tout rond. Le troisième film Star Wars sera aussi celui de toutes les ruptures, à commencer par celle de George Lucas avec sa propre création. Le Retour du Jedi va ainsi emmener la franchise en hibernation pendant près de quinze ans.
Par Sylvestre Picard
La face cachée de la force
À quel moment Star Wars est devenu une série ? À quel instant précis, dans la tête de George Lucas, son revival fantasmé de Flash Gordon -appelé d'abord au cours de son écriture Journal of the Whills, puis, The Star Wars, puis Adventures of the Starkiller, puis Star Wars tout court – est devenu un épisode ? Historiquement, on peut le dater précisément : lors de la sortie en 1979 du livre The Art of Star Wars dans lequel figure un fac-similé (paraît-il assez bricolé à partir de différentes versions de travail) du scénario du film. Officiellement, c'est lors de la troisième ressortie en salles du premier film, en avril 1981, que le résumé déroulant est précédé de l'intitulé « ÉPISODE IV – UN NOUVEL ESPOIR ». Entérinant ainsi l'idée qu'il y aurait des Star Wars avant, et après. Dans les faits, il semble que Lucas ait eu très tôt l'idée d'une série de films : une note manuscrite de 1977, écrite dans la foulée de la sortie du premier film, établit un plan en six épisodes. L'Épisode 1 étant le prologue, suivi d'une trilogie consacrée à La Guerre des clones (mais sans savoir ce qui se cache derrière ces mots), puis un Épisode 5 nommé à a fois Épilogue et Prologue... et enfin, l'Épisode 6 qui correspond au film de 1977. Et qui est intitulé par Lucas Star Wars Trilogy. Quoi qu'on en dise, Lucas n'a jamais vraiment eu les idées claires en matière de storytelling, il ne suivait pas un plan préétabli, un template marketing tout pensé ni une structure mythologique. Sa conception de Star Wars a été un vaste bordel, amalgamant tout son cinéma idéal – les serials, la SF, les courses à grande vitesse, la mythologie – dans un seul film tourné dans la douleur, à qui tout le monde prédisait un four. Lui le premier. Quand Star Wars est sorti et a tout changé, il s'est remis au travail pour pondre une suite. Parmi ses premières notes pour une suite, qui donneront L'Empire contre-attaque, il écrit le titre pour se lancer (« Starwars », sic), puis ces mots « Fun-aventure. Mystique/religion – intellectualisme ». Et cette phrase, soulignée : « Doit garder un rythme rapide. » C'est là où Lucas se sentait le mieux : non pas pendant le tournage ni la postproduction, mais pendant la préproduction, lorsqu'il faut se réunir entre créateurs dans une salle d'écriture, et balancer des idées dans tous les sens, à voix haute, sans jugement, sans contrainte matérielle ou budgétaire. Et lorsqu'il griffonne au crayon sur des pages de papier jaune des noms de planètes imaginaires ou d'aliens bizarres, qui changeront de nature et de sens au gré de l'écriture. S'il avait bel et bien très tôt pensé à faire de Star Wars une série de films, il n'avait pas en tête d’en faire une trilogie bien ficelée et joliment marketée comme on les fait aujourd'hui, façon plan quinquennal.
La revanche de Lucas
George Lucas annonce en mai 1980, une semaine avant la sortie de L'Empire contre-attaque, le titre du troisième film Star Wars : ce sera Revenge of the Jedi. Il s'agit bien de prendre une revanche : à la même période, Lucas quitte Hollywood, construit le Sywalker Ranch et déménage tout Lucasfilm, dont l'ambitieux laboratoire d'effets spéciaux Industrial Light & Magic, en Californie du Nord. « De mon point de vue, Hollywood est juste un prestigieux lycée », disait-il à l'époque avec une pointe de mépris. Il était temps de quitter le bahut et d'accomplir son rêve (celui de Coppola, aussi) : créer une communauté où l'on pourrait créer en toute liberté, séparée de la Babylone hollywoodienne, de ses vieux studios et des cadres qui vous disent quoi faire. Lucas s'était notamment fâché avec la Directors Guild of America (le syndicat des réalisateurs américains) pour ne pas avoir mis le nom d'Irvin Kershner, le réalisateur du film, au début de L'Empire contre-attaque, allant à l'encontre des règles du syndicat. Lucas avait payé une amende de 25 000 dollars et avait quitté la DGA en signe de protestation.
La fanfare du studio 20th Century Fox (qui a été rallongée à cause de Star Wars, pour que la musique puisse accompagner le titre « A Lucasfilm production » en 1977) retentit dans la salle obscure du cinéma, provoquant un frisson d'excitation dans le public. Puis ces mots fameux « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine... » Le titre apparaît triomphalement à l'écran, avec la musique déjà légendaire de John Williams. Et voici l'opening crawl: « EPISODE VI – REVENGE OF THE JEDI ». « La Rébellion est condamnée. Des espions, fidèles à l'Ancienne République, ont appris la construction de deux nouvelles stations de guerre spatiale. Un plan désespéré est mis en œuvre afin de détruire ces deux terrifiantes Étoiles de la mort, et de mettre fin à la tyrannie de l'Empire. Un groupe de commandos, mené par la princesse Leia, se dirige au cœur de l'Empire galactique, et tente de parvenir sur une lune en orbite de la planète-capitale impériale, la redoutée Had Abbadon... » Voilà comment aurait pu commencer le troisième film Star Wars, si l'un des tout premiers scripts (daté de février 1981) avait été conservé. Non pas une nouvelle Étoile de la mort, mais deux ; un film nous embarquant dans une ultime mission au cœur de l'Empire pour le mettre à mort. Il ne sert à rien de savoir si ce film imaginaire aurait été meilleur ou pire que Le Retour du Jedi, mais il suffit de lire cet opening crawl pour voir que le troisième opus sorti en salles était très différent de ce qui s'était imaginé au départ. Encore une fois, Lucas a lancé son Star Wars sans trop savoir ce qui allait se passer dedans. L'Empire contre-attaque se terminait sur un abominable cliffhanger : Luke a appris que Vador était son père (juste après que celui-ci lui a tranché la main au sabre laser), Han a été transformé en surgelé, l'Alliance rebelle est en déroute. Narrativement parlant, tout est en place pour faire du troisième Star Wars un film tout aussi grandiose que les deux précédents. Mais les problèmes étaient déjà au cœur de l'Empire.
La migraine de Lynch
À commencer par Gary Kurtz. Son fidèle producteur, qui lui avait permis de concrétiser Star Wars et sa suite, quitte définitivement Lucasfilm en 1980. Lucas lui reproche d'avoir laissé exploser le budget de L'Empire contre-attaque ; Kurtz, de son côté, estimait ne plus se reconnaître dans la nouvelle direction que prenait Revenge of the Jedi. Celle du marketing à outrance et de la redondance. Quand Lucas annonce pendant l'écriture qu'il veut mettre en scène une nouvelle attaque d'une nouvelle Étoile de la mort, comme dans le premier film, Kurtz n'est pas convaincu et le fait savoir. « On s'est séparés d'un commun accord, parce que je ne voulais pas d'une nouvelle attaque sur l'Étoile de la mort », se souviendra Kurtz plus tard. « On s'est mis d'accord qu'il valait mieux que je parte. » Son remplaçant sera Howard Kazanjian, qui avait travaillé sur le dernier film d'Alfred Hitchcock (Complot de famille, sorti en 1976 avec une musique signée John Williams) ainsi que sur La Horde sauvage de Peckinpah, avant de produire chez Lucas American Graffiti, la suite (1979) et Les Aventuriers de l'arche perdue.
Avant toute chose, il faut un réalisateur (celui de L'Empire contre-attaque, Irvin Kershner, a refusé de rempiler), et après avoir envisagé Joe Dante, Richard Donner ou même David Cronenberg, Lucas convoque celui qui l'intrigue le plus : un certain David Lynch, auteur d'Eraserhead, qui a complètement chamboulé le créateur de Star Wars. A tel point que Lucas le fait venir au Skywalker Ranch pour lui pitcher le projet. Lynch, qui respecte beaucoup Lucas pour son indépendance farouche, à la fois créative et industrielle, accepte et se retrouvera à faire des tours du ranch dans la Ferrari de Lucas. Vaincu par une migraine atroce, Lynch se taille au plus vite et supplie son agent de refuser le poste de réalisateur de Revenge of the Jedi. « Plutôt que de choisir un réalisateur visionnaire, Lucas a alors préféré se tourner vers un véritable ouvrier, de préférence quelqu'un qui a travaillé pour la télévision, un milieu où il était normal que le réalisateur soit inféodé au producteur exécutif », écrit Brian Jay Jones dans sa biographie de George Lucas. Ce dernier décide alors d'engager en 1981 le gallois Richard Marquand, dont le thriller L'Arme à l'oeil (adapté d'un roman de Ken Follett) avec Donald Sutherland en espion nazi lui a fait bonne impression. De plus, Marquand a une solide expérience dans la télé anglaise. Il a même signé en 1979 un biopic des Beatles, intitulé Birth of the Beatles, se déroulant de 1961 à 1964. Marquand est surpris mais flatté, et il accepte de réaliser Revenge of the Jedi en sachant très bien que, de toutes façons, ce sera le film de George et pas le sien. Enfin, Lucas fait revenir Lawrence Kasdan, pour écrire le script : il vient tout juste de terminer son premier long métrage, le thriller érotique La Fièvre au corps avec Kathleen Turner et William Hurt, envisage de se tourner entièrement vers la réalisation et est plutôt hésitant à l'idée de rempiler sur un film Star Wars. Mais il sent bien que Lucas a besoin de lui, de son écriture habile et structurée qui a fait de L'Empire contre-attaque et des Aventuriers de l'arche perdue des modèles de storytelling, prêts à être enseignés dans des écoles. Il se sent aussi redevable à Lucas, qui l'a aidé à monter La Fièvre au corps en tant que producteur exécutif. Mais comme pour L'Empire contre-attaque, Kasdan est navré en arrivant sur la production du film que Lucas ait commandé à ses fidèles designers Joe Johnston et Ralph McQuarrie de se lancer dans des dessins de personnages, d'aliens, de véhicules et d'environnements sans avoir aucune idée de comment ils allaient être employés (ou non) dans Revenge of the Jedi. Et pourtant, dès le départ, ce Star Wars va partir dans la redite : « quoi qu'on fasse, on va refaire quelque chose qui a déjà été fait », déclare Lucas lors de la première grosse réunion d'écriture au début de l'été 1981. « Il faut être honnête, on n'a pas de nouvelle image iconique. »
Des variantes en pagaille
La scène se passe au début de l'été 1981. Lucas, Marquand, Kasdan et Kazanjian se réunissent enfin pour discuter du scénario de Revenge of the Jedi. Lister toutes les variantes et toutes les idées écrites par Lucas remplirait facilement tout ce magazine et bien plus (le magistral livre de J.W. Rinzler sur le making of du Retour du Jedi détaille tout le processus d'écriture), mais à ce moment son script pour le troisième film démarre sur cette idée : l'Empire construit de nouvelles Étoiles de la mort, et un commando mené par la princesse Leia doit pénétrer dans la planète-cité impériale d'Had Abbadon (du nom d'un ange exterminateur de l'Apocalypse biblique) et frapper l'Empire en son cœur. La discussion, enregistrée, retranscrite sur papier et rapportée par Rinzler dans le making of, tourne très vite autour du dernier acte : la confrontation entre Dark Vador, Luke Skywalker et l'Empereur qui cherche à faire passer Luke du côté obscur de la Force. Très vite, le fait que Vador trouve sa rédemption en se sacrifiant pour tuer l'Empereur apparaît comme une évidence -jusqu'à ce que Lucas évoque une idée extrême pour le final du film. Le repaire de l'Empereur explose, Vador reste coincé, Luke récupère son casque, « et puis Luke le pose sur sa tête en disant : “Je suis Vador !” » Surprise ! C'est le twist ultime. « Maintenant, je vais détruire la flotte rebelle et régner sur l'univers. » Kasdan est surexcité, mais Lucas douche tout de suite son enthousiasme.
« Non, non, et non. Allez, tu sais bien qu'on fait ce film pour des enfants. — Alors je pense que tu dois tuer Luke et laisser Leia prendre le pouvoir, tente Kasdan. — On ne veut pas tuer Luke. — OK, alors on tue Yoda. — Je ne veux pas tuer Yoda. On n'a pas besoin de tuer des gens. Quand on est un produit des années 80, on ne tue pas des gens à tout va. Ce n'est pas gentil. » Kasdan a beau insister, en argumentant qu'il faut que le scénario de Revenge of the Jedi soit percutant et propose des twists inattendus, Lucas reste inflexible.
« En tuant quelqu'un, tu te mets à dos le public. — Je te dis juste que le film aura plus de puissance émotionnelle si on perd un personnage que tu aimes, le récit a plus d'impact. — Je n'aime pas ça, et je ne crois pas à ça non plus. — Oh, et bien, tant mieux. — J'ai toujours détesté ça dans les films, quand un des personnages principaux se fait tuer. On fait un conte de fées. On veut que tout le monde vive heureux et ait beaucoup d'enfants, on veut que rien de mal n'arrive à personne. »
Le plus timide Richard Marquand intervient pour se ranger du côté de Lucas : « J'ai ressenti ça à la mort d'Obi-Wan Kenobi dans le premier film... — Mais tout le monde est devenu dingue en voyant ça, ça fonctionne à mort ! réplique Kasdan. — Oui, je sais, enchaîne Lucas. Mais on l'a déjà fait. Et c'est pareil avec Han (à la fin de L'Empire contre-attaque). La majeure partie du public s'est plainte que le film était à moitié fini. Là, le principal moteur de ce film est qu'il doit être fun. »
Lucas est obsédé à l'idée de faire de Revenge of the Jedi un film fun, mais qu'est-ce que c'est, au fond, le fun ? « Le but de ce film, l'émotion que je veux vous faire ressentir à la fin, c'est de rendre le public complètement exalté, à la fois émotionnellement et spirituellement. À la fin, le public doit aimer la vie. C'est la plus belle chose que nous puissions faire », résume-t-il.
En plus de cette légère tension entre Kasdan et lui, Lucas doit aussi résister à la pression plus ou moins amicale exercée par Harrison Ford, qui le supplie de tuer Han Solo dans le troisième film (sorti un mois plus tôt, Les Aventuriers de l'arche perdue était en train de conquérir le box-office américain). Plus tard dans la journée, Lucas évoquera aussi le problème du titre. « Des gens m'envoient déjà des lettres pour me dire que les Jedi ne se vengent pas. Ce n'est pas dans leur nature, dans leur façon de faire », soupire-t-il.
Kazanjian a prétendu de son côté que le film s'appelait à un moment Le Retour du Jedi, et qu'il a dit à Lucas que c'était vraiment un titre « faible », poussant Lucas à revenir à Revenge of the Jedi. En novembre 1981, un deuxième jet révisé daté du 1er novembre porte le titre Return of the Jedi. Avant qu'un mémo signé Kanzanjian impose le titre officiel Revenge of the Jedi. Dans tous les cas, le titre ne change officiellement qu'en décembre 1982, alors qu'un poster teaser signé Drew Struzan comportant le titre Revenge of the Jedi a déjà été largement imprimé.
La production des affiches est interrompue, et Lucas revend le stock déjà imprimé au fan-club de Star Wars... mais n'anticipons pas trop, et revenons en juillet 1981. Lucas annonce à son petit groupe en plein brainstorm une mauvaise nouvelle : il faut se débarrasser d'Had Abbadon, la planète impériale, le Mordor de Palpatine.
Ewoks en folie
Car Lucas ne voit pas comment faire coïncider cette grande planète dont toute la surface est recouverte par une ville avec tout un tiers de son script consacré aux Ewoks. Kasdan tente de lui faire changer d'avis (« et si on essayait de virer tout simplement les Ewoks ? »), mais Lucas n'en démord pas. Il n'y aura plus de confrontation finale dans le palais de l'empereur surplombant des coulées de lave. Tout finira dans une Étoile de la mort à moitié construite, en réalité un piège pour la flotte rebelle, qui explosera comme dans le premier film, terminant le film -et la saga- là-dessus. Kasdan cache mal le fait qu'il trouve ça complètement con, et même Lucas est obligé de reconnaître que le plan de l'empereur n'est pas super futé, mais pour lui ce n'est pas grave : « je préfère qu'on ait un script qui fonctionne à peu près, il y aura toujours moyen de l'affiner pour que l'empereur ne passe pas totalement pour un idiot à l'écran ». Lucas tient d'autant plus à supprimer Had Abbadon que le film doit se terminer dans la petite cité forestière des Ewoks, et que cela ne fonctionne pas si l'on passe entre-temps dans la titanesque capitale impériale. Conclusion ? « Il faut faire tenir tout cela à une très petite échelle », dit-il. Ce problème d'écriture jamais résolu sera à la source des difficultés du Retour du Jedi : contrairement à L'Empire contre-attaque, qui avait un script solide, et fonctionnait -comme l'affirme son titre- véritablement à rebours du premier film, Le Retour du Jedi s'accrochera à quelques idées floues : être fun avant toute chose, et surtout, ne pas toucher aux Ewoks.
Le désir de Lucas de mettre en scène ce petit peuple à fourrure vivant dans la forêt n'est pas seulement dû à un désir de vendre des jouets ou de rendre le film ultra mignon pour qu’il plaise aux enfants : il veut mettre en scène un peuple considéré comme technologiquement arriéré mais capable quand même de battre les troupes impériales par des tactiques de guérilla, en s'inspirant du combat des Viêt-Cong contre les Américains pendant la guerre du Viêt Nam.
Au départ, Lucas voulait que l'action se déroule sur la planète des wookies, mais il a finalement préféré créer une nouvelle espèce presque de toutes pièces. Presque, car d'après le créateur lui-même, leur nom a été créé en inversant tout simplement les syllabes du mot « wookie ». Quant à leur look (d'adorables petits oursons pygmées), il s'inspire d'un chien : le griffon bruxellois, que Lucas adore, faisant ainsi des Ewoks la troisième création lucasienne dérivée d'un de ses chiens favoris, après Chewbacca et Indiana Jones, tous deux plus ou moins inspirés de sa chienne Indiana. La deuxième moitié de l'année 1981 est consacrée au montage des décors et des costumes des dizaines de différents aliens. Et au casting. Des versions du scénario où manquent la révélation de Leia comme sœur de Luke et de la mort de l'empereur par les mains de Vador circulent, pour éviter les fuites (Dave Prowse, qui joue Dark Vador, avait spoilé L'Empire contre-attaque pendant la promo du film, à la grande colère de Lucas). En décembre, la manager de James Earl Jones, qui assure la voix de Dark Vador, s'inquiète dans un message à Lucas : « je sais qu'il est un peu trop tôt pour demander si James Earl Jones va faire la voix de Varda (sic), mais on aimerait bien savoir s'il sera bien présent pour ce film et les six autres de prévu. » Il faut surtout un comédien pour jouer l'empereur Palpatine : Ben Kingsley passe une audition, mais on le considère comme « très anglais ». Ian McDiarmid, un digne membre de la Royal Shakespeare Company, âgé de 37 ans, remarqué par Marquand pour avoir joué au théâtre le rôle d'Howard Hughes sous une tonne de maquillage dans la pièce de Sam Shepard Seduced, est dans les finalistes. Mais la production engage Alan Webb, un grand acteur de seconds rôles âgé de 75 ans : « je me suis persuadé qu'il vallait mieux engager un vieil homme, parce qu'il a des qualités qu'un homme jeune ne peut simplement pas avoir », argumente Marquand. « J'ai donc choisi un bon vieil acteur bien encroûté. » Alan Rickman passe aussi le casting, mais pour incarner le Moff Jerjerrod, officier à la tête du chantier de la deuxième Étoile de la mort, mais n'est pas retenu. Au même moment, on fait une sacrée proposition à l'acteur vétéran Sebastian Shaw, 76 ans : la production lui demande de tenir un rôle secret dont le nom de code est « Papa ». Malade, Shaw loupera la première audition mais pas les trois suivantes : il sera le visage de Dark Vador sans son casque.
« Des horreurs défiant l'imagination ! »
Le tournage de Revenge of the Jedi commence en Angleterre en janvier 1982, dans les studios d’Elstree au nord de Londres. Le nom de code du film, utilisé afin de se préserver des journalistes (et d'éviter que les fournisseurs n'augmentent trop leurs tarifs, sachant qu'il s'agit d'un Star Wars) est « Blue Harvest », la « Récolte bleue », et il y a même une tagline : « Des horreurs défiant l'imagination ! ». Lucas aurait aimé financer le film de sa poche, mais le budget est estimé à 30 millions de dollars : la création du Skywalker Ranch a englouti tous ses profits tirés de L'Empire contre-attaque. Il a néanmoins réussi à négocier un nouveau deal (sous la forme d'un contrat de 224 pages, avec 20 pages de lexique préliminaire) avec la 20th Century Fox pour que le studio lui prête 20 millions de dollars en échange d'un pourcentage de profit accru une fois que le film aurait dépassé les 105 millions de dollars de recettes. Un investissement qui paraît plutôt assuré grâce au triomphe des Aventuriers de l'arche perdue, devenu sur le long terme le plus grand succès cinéma de l'année 1981 – et largement identifié comme un triomphe conçu par Spielberg, Ford et Lucas. Comparé aux tournages difficiles des précédents films, celui du Retour du Jedi se déroule plutôt bien : il est plus court que celui de L'Empire contre-attaque, Kazanjian réussissant à imposer un calendrier plus serré afin de ne pas rééditer l'explosion budgétaire de l'Épisode V et surtout à permettre aux petits génies d'ILM d'avoir plus de temps pour peaufiner les effets spéciaux. George Lucas a beau ne pas officiellement réaliser le film, il contrôle en permanence le travail de Richard Marquand (« c'est comme si je réalisais Le Roi Lear avec Shakespeare sur le dos », plaisante à moitié le réalisateur), lui impose une certaine façon de filmer – et, surtout, il réclame à Roger Christian, le réalisateur de deuxième équipe, de tourner le maximum d'images d'Ewoks. « George les adorait. Il était bien le seul », disait-il. L'un des plus gros problèmes du tournage est la maladie d'Alan Webb, l'acteur engagé pour jouer l'empereur : il attrape la grippe et doit abandonner le film. Ian McDiarmid, le finaliste pour le rôle, le remplace au pied levé sous un épais maquillage. Webb mourra en juin 1982.
Une esclave rebelle
Les « horreurs défiant l'imagination » étaient surtout réservées aux scènes se déroulant dans la première moitié du film : le palais de Jabba le Hutt sur Tatooine, avec sa horde d'aliens allant du grotesque au superbe (le rancor, Jabba…) et surtout sa princesse Leia, devenue « Leia l'esclave » avec sa tenue très dénudée (dans le premier film, Lucas a veillé à ce que Leia soit la moins sexualisée possible). Au grand dam de son interprète Carrie Fisher. « Le truc qui m'a tuée, c'est vraiment de se dire qu'une fois que je suis en maillot de bain, j'arrête de parler ? On me désape et je dois fermer mon clapet », s'insurge-t-elle.
« J'ai du répondant face à Dark Vador, au Grand Moff Tarkin, mais cette grosse limace de Jabba me fait taire. Tout l'esprit de répartie que j'avais dans les deux premiers films avait complètement disparu. » Mark Hamill, de son côté, trouve l'idée plutôt sympa. « On ne peut pas faire plus féminin que ce costume d'esclave », dit-il à l'époque. « Ça donne une saine dose de sexualité, ce dont manquait les deux premiers films. » Mais cela ne justifie en rien le traitement bizarre infligé à Leia : sénatrice et résistante dans le premier film, puis chef de guerre dans le deuxième, la voilà pin-up de luxe dans le troisième film alors que le script lui donne paradoxalement une nouvelle importance en lui donnant le rôle de la sœur jumelle de Luke – et donc fille de Dark Vador.
En mai 1982, une fois le tournage dans les studios londoniens terminé, il est temps de passer au tournage « en dur ». Le parc national de Redwood, à Crescent City (Californie), avec ses séquoias immenses, servira de décor pour la lune forestière d'Endor (Spielberg y tournera la suite de Le Monde perdu : Jurassic park, en 1996), et le désert de Yuma en Arizona servira pour les extérieurs de Tatooine à la place du désert tunisien.
A ce moment, Marquand et Lucas sont épuisés. On dirait que Lucas a bel et bien réalisé le film en parallèle. « Je ne m'amuse pas du tout », raconte George à un journaliste. « Tout le monde croit tout savoir sur Star Wars, mais personne ne sait rien, en réalité. L'année dernière, j'ai répondu à des millions de questions posées par Richard, j'ai renseigné tout le monde sur tous les sujets… Et pourtant chaque jour l'équipe a encore des questions à me poser tous les matins, et sans exagérer je suis le seul à pouvoir y répondre… Je ne fais cela que parce que je l'ai initié, et maintenant je dois le terminer. La prochaine trilogie, ce sera la vision d'une autre personne. » Pendant les cinq derniers mois, Lucas a beaucoup maigri : il a perdu une dizaine de kilos. Ce n'est pas qu'une question de fatigue physique. Tout comme sa saga galactique, son mariage avec Marcia Lucas est en train de s'achever.
La famille au bûcher
« Pour George Lucas, les films ont toujours été cette “autre femme” », explique Brian Jay Jones dans sa biographie du réalisateur. « Aussi dévoué à Marcia qu'il pouvait l'être, il y avait toujours un nouveau film, un nouveau projet, qui lui réclamait toute l'attention qu'il ne pouvait -ou ne voulait- pas donner à sa femme. Et malgré tout son discours sur la vie de famille qui devait passer en priorité, c'est Marcia qui a dû mettre sa carrière en pause alors qu'il enchaînait les projets, passant de Star Wars à la suite d'American Graffiti, de L'Empire contre-attaque à Indiana Jones puis au Retour du Jedi, sans presque aucune pause. » Lucas a beau lui expliquer que le Skywalker Ranch a été justement conçu pour concevoir des films en famille, afin que le travail soit plus facile, moins absorbant, c'est le contraire qui arrive. Lucas plonge tout autant -sinon plus- dans le travail. Marcia demandera le divorce pendant le tournage, mais son mari lui demandera de ne pas faire d'annonce publique avant la sortie du film en salles. Elle travaillera toutefois sur le montage du film, surtout sur la séquence finale, avec deux autres monteurs. Et Kazanjian observe avec tristesse que le couple ne s'adresse plus la parole. Chaque soir, « George rentrait chez lui et Marcia restait en salle de montage. » Lucas, très irritable, réagit un jour très mal lorsque le monteur Duwayne Dunham l'interroge sur le destin de Dark Vador : est-ce que Luke a laissé son corps dans l'Étoile de la mort ou pas ? Lucas finira par reconnaître de mauvaise grâce qu'il s'agit d'un trou dans le scénario, et fait revenir Mark Hamill et une petite équipe au Skywalker Ranch afin de tourner la scène du bûcher funéraire de Dark Vador. Un moment qui, à l'écran aura une dimension mythologique et émotionnelle absolument terrassante, mais qui aura été rajoutée dans les derniers moments du tournage. La tête de Lucas était déjà ailleurs : depuis mai 1982, avant même la fin du tournage de Revenge of the Jedi, il écrit à ses heures perdues la suite des Aventuriers de l'arche perdue, intitulée Indiana Jones et le Temple maudit. Tant pis pour la vie de famille, jetée au bûcher.
Destinée étoilée
Le Retour du Jedi sort dans les salles américaines le 25 mai 1983, six ans jour pour jour après la sortie nationale du tout premier Star Wars. C'est un énorme carton (les fans posent des jours de congé pour aller le voir, et ils se sont placés dans les files d'attente la veille de la sortie), évidemment, mais les critiques sont assez mitigées. Avec plus de 250 millions de dollars de recettes, Le Retour du Jedi sera, et de très loin, le plus gros succès de l'année 1983 au cinéma, aux Etats-Unis et dans le monde entier : mais en France, ce sera seulement le 5ème de l'année (et avec 4,2 millions d’entrées c’est même le moins bon score de tous les Star Wars numérotés sortis chez nous). -le film se fera battre par Les Compères, Le Marginal, L’Été meurtrier... et par Les dieux sont tombés sur la tête, qui vendra près de 6 millions de billets. Qu'importe : le film remplit les caisses, et Lucas est soulagé. « Ce scénario idiot que j'ai écrit il y a dix ans est enfin terminé », dit-il à Rolling Stone. « Star Wars s'est emparé de ma vie, contre ma volonté. Maintenant, je dois reprendre ma vie en main avant qu'il ne soit trop tard. » Un beau lundi de juin, Marcia et lui annoncent officiellement leur divorce à toute l'équipe de Lucasfilm au Skywalker Ranch. Son mariage est terminé. Star Wars est terminé. George l'avait expliqué en mai 1983, dans un article de Time Magazine : « Pour moi, les trois films Star Wars sont les chapitres d'un livre. Le livre est désormais achevé, je peux le remettre sur l'étagère. » Sans l'implication de son créateur, Star Wars va commencer à dépérir. Un téléfilm, L'Aventure des Ewoks, est monté dans la foulée d'Indiana Jones et du Temple maudit et sortira en novembre 1984. Une suite, La Bataille d'Endor, sort en 1985 dans un désintérêt quasi total. Star Wars devient peu à peu l'univers étendu : une affaire de fans, qui vont passer une décennie à développer et cultiver le monde de Star Wars à travers des produits « autorisés » (officiels mais pas approuvés par Lucas lui-même), comme le jeu de rôle. Qui, à son tour, servira d'inspiration à l'écrivain Timothy Zahn pour écrire en 1991 une trilogie de romans à succès faisant suite au Retour du Jedi. Le créateur ne daignera se remettre à Star Wars qu'en 1994, quand il commencera enfin à écrire des notes sur les préquels de sa saga. En janvier 1995, il jette sur le papier un premier script sobrement intitulé The Beginning. L'été suivant, la trilogie sort en VHS avec un son THX remasterisé. C'est un énorme carton. Ensuite, en 1996, il décidera de retravailler les films qui sortiront en 1997 sous le titre « Édition spéciale ». À nouveau un succès. Star Wars est de retour au cinéma. Et Lucas va enfin tourner l'Épisode I. « M'adapter à Star Wars m'a pris beaucoup de temps », s'est-il justifié dans le livre de Peter Biskind, Le Nouvel Hollywood. « Une fois que j'ai accompli cela, je peux y retourner. Star Wars est ma destinée. » Sa destinée, ou une sorte de revanche ? Allons, chacun sait que les Jedi ne cherchent pas vengeance.
Sylvestre Picard
Aller plus loin
Roger Christian, Cinema Alchemist : Designing Star Wars and Alien, Titan Books, 2016
Brian Jay Jones, George Lucas, une vie, Hachette Heroes, 2017
Pascal Pinteau, Effets spéciaux : deux siècles d’histoire, Bragelonne, 2015
J.W. Rinzler, Le Retour du Jedi, le making of, Akileos, 2015
J.W. Rinzler, Howard Kazanjian: A Producer's Life, Harry N. Abrams, 2021
Chris Taylor, How Star Wars Conquered the Universe, Basic Books, 2014
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