Une histoire ancrée dans la réalité

Les deux versions partagent la même toile de fond historique : un rêve américain entaché par un racisme systémique, représenté à l’écran par le conflit entre les Jets (les immigrés irlandais) et les Sharks (les immigrés portoricains). Le sujet étant encore prégnant, on ne s’étonne pas que Spielberg n’ait pas envisagé de transposer le récit à notre époque, comme cela a pu être le cas à Broadway avec la version de Ivo van Hove.

Le West Side Story de 2021 se déroule toujours dans les années 50 mais avec cette fois la présence d’une menace bien réelle : la destruction imminente du quartier de Lincoln Square et le lancement du Lincoln Square Renewal Project par l’architecte urbaniste Robert Moses, un évènement qui a marqué l’histoire de New York et qui rajoute une nouvelle couche thématique au scénario de cette nouvelle version.

Le casting : plus inclusif et réaliste

C’était l’un des principaux griefs qui est fait au film de 1961 : ses acteurs et actrices n’étaient pas vraiment représentatifs des personnages qu’ils incarnaient. La plupart des personnages portoricains étaient ainsi joués par des acteurs plus vieux, blancs et américains, exception faite de Rita Moreno, qu’on retrouve ici dans le rôle de Valentina, tenancière de la pharmacie où vit Tony (Ansel Elgort).

Spielberg avait à cœur de proposer un casting réaliste, aux origines portoricaines, à l’exception de Rachel Zegler dont la mère est colombienne. Close enough pourraient rétorquer certains, et même si la décision a pu faire réagir, la performance de l’actrice a mis tout le monde d’accord. Les personnages portoricains parlent d’ailleurs tous les Espagnols et ce sans sous-titre, pour mettre sur un pied d’égalité les répliques dans les deux langues.

L’autre nouveauté concerne le personnage de Anybody’s, qui dans le film de 1961 est une jeune fille voulant s’intégrer au jet et devenir un garçon. La version de Spielberg va plus loin et caste l’interprète non-binaire Iris Merena. Une marque supplémentaire d’inclusivité qui vaudra au film de se faire tristement bannir dans plusieurs pays du Moyen-Orient.
 

La réalisation : virtuosité moderne

West Side Story étant à l’origine une pièce de théâtre librement inspirée de la tragédie Roméo et Juliette de William Shakespeare, le film de 1961 amène avec lui cette imagerie de spectacle scénique. Les lumières sont volontairement criardes, les décors construits pour servir les imposantes chorégraphies montrées à l’écran. Spielberg place ses ambitions un cran au-dessus tout en modernisant avec fidélité une œuvre pour la nouvelle génération. 

Le réalisateur se permet de tourner une grande majorité de ses scènes à New York même, pour distiller la magie des différentes chansons dans un monde peut-être plus tangible pour le public. Les chorégraphies sont toujours aussi grisantes et filmées avec une maestria sans pareil. La caméra virevolte avec les danseurs et danseuses dans des scènes à l’impressionnante lisibilité. Et c’est bien là l’une des qualités que Spielberg partage avec la mise en scène d’origine : sa clarté de tous les instants, même dans les scènes les plus complexes. Encore une preuve s’il en est qu’il était l’homme de la situation. Jusqu’au prochain West Side Story ?
 

Hugo Cléry | @HugoClery